Desserte aérienne difficile, barrière de la langue, vestiges de l'Histoire et saisonnalité sont autant de freins au développement du tourisme dans les Antilles françaises. C'est ce que souligne le rapport « Tourisme et environnement outre-mer », présenté par Michel Magras, sénateur de Saint-Barthélémy, le 24 mai dernier. Avant sa mise en ligne dès ce week-end sur le site du Sénat, TourMaG.com revient sur la série de 11 recommandations préconisées et votées à l'unanimité.
Michel Magras : "En effet, j'ai présenté ce rapport mardi soir (24 mai 2011, ndlr). Au départ, il s'agissait d'un rapport d'information sur le tourisme en outre-mer en général, ce qui représente un travail sur 11 collectivités réparties aux 4 coins du globe.
Cela aurait nécessité une logistique énorme pour un élu seul et un administrateur. J'ai donc choisi de cibler la Martinique et la Guadeloupe, car je pense que ces deux îles ont tout pour réussir mais connaissent des difficultés.
Mon objectif était de présenter une dizaine de recommandations aussi concrètes que possible, mais surtout une solution pour sortir de cette crise permanente que connaissent les Antilles françaises.
Il s'agit de passer d'un tourisme "subi" vers un tourisme "choisi", et encore plus, "intégré". J'entends par là , un tourisme qui se développe en équilibre avec la société qui l'accueille, où les touristes sont heureux d'être accueillis et la population locale heureuse de voir arriver des touristes. Et cela, ajouté à une prise en compte de l'environnement, du cadre de vie et du milieu naturel.
Après de nombreuses auditions à Paris (dont celle de Frédéric Lefebvre et Marie-Luce Penchard, les compagnies aériennes, Atout France, les offices de tourisme, le Conservatoire du Littoral, etc) et sur place, j'ai donc exposé une série de 11 recommandations et le rapport a été voté à l'unanimité.
Il sera d'ailleurs disponible sur le site du Sénat dès ce week-end et un débat sans vote en séance publique se tiendra le 28 juin prochain."
M.M. : "La recommandation n°1, la plus urgente, est que le tourisme doit être une priorité économique pour la Guadeloupe et la Martinique.
Les Antilles, ce n'est pas seulement la canne, la banane et le social. Le tourisme constitue un potentiel inépuisable et son développement, s'il reste à la pointe, sera créateur d'emploi, avec une étendue transversale.
Je propose donc la tenue d'une conférence entre tous les acteurs du tourisme, les élus et l'État pour mettre sur pied une stratégie de développement touristique."
M.M. : "Il existe une réalité incontournable et identitaire, qui constitue un frein au tourisme. La population antillaise ne veut pas des touristes, car 90% d'entre eux viennent de métropole. Une situation qui fait perdurer les vestiges du passé.
En effet, pendant les auditions, j'ai souvent entendu la phrase : « les Antillais confondent servir et asservir ». Ils n'arrivent pas à accepter que les touristes soient là pour se faire servir.
Et ce que je voudrais leur faire comprendre, c'est que les touristes sont des personnes qui viennent de l'extérieur et leur laissent de l'argent. Autrement dit, c'est tout bénéfice pour eux.
Et puis, j'ai remarqué que les élites, en particulier les élus, ont également joué le jeu, pour ne pas brusquer la population."
TourMaG.com - Que préconisez-vous ?
M.M. : "Je pense que la population antillaise devrait maîtriser plusieurs langues, être bilingue voire trilingue avec l'anglais et l'espagnol. Cela permettrait aux habitants de mieux connaître, apprécier et comprendre les touristes.
C'est pour cela que j'ai proposé qu'une matinée par semaine soit consacrée à l'apprentissage des langues, dès la maternelle.
D'ailleurs, une des recommandations porte sur la formation des salariés, car l'accueil, le service et la compétence sont les clés du développement touristique.
Je suggère donc de trouver des partenaires dans la Grande Caraïbe, à La Barbade par exemple. Et puis plus loin au Canada, un pays qui ne connait pas la barrière de la langue."
Page 2 : Le trafic aérien est un autre obstacle important au développement touristique ?
Page 3 : Quelle solution pour le problème de la saisonnalité ?
M.M. : "J'ai toujours pensé que tant qu'il n'y aura pas de desserte à Roissy, il n'y aura pas de développement du tourisme.
Aujourd’hui, Air France annonce l'ouverture d'une ligne entre CDG et Pointe-à -Pitre et Fort-de-France, dès le 5 novembre. Mais à raison d'une fois par semaine, cela ne réglera pas tous les problèmes.
Que va faire le touriste qui aura loupé son vol à cause d'une perturbation météorologique ou sociale? Attendre le samedi suivant pour repartir? Bien sûr, cette modification des dessertes nécessite une politique touristique aux Antilles, avec une adaptation des horaires pour que les connections soient rapides et efficaces.
L'idée d'une ligne au départ de Roissy est formidable, mais l'étude n'est pour l'instant pas suffisante en ce qui concerne les transferts, l'accueil et les connections.
Il ne faut pas pour autant couler Orly, mais plutôt faire venir des compagnies aériennes via un transit. Par exemple, je sais qu'Air Caraïbes charge un avion charter au départ de la Suède. Il pourrait peut-être transiter via Orly.
Ou bien, développer les vols charter secs vers les autres pays européens, sans forcément que les compagnies soient françaises."
TourMaG.com - Pensez-vous à des compagnies en particulier ?
M.M. : "Je n'ai pas suffisamment de connaissances sur les low cost européennes mais je peux vous citer l'exemple des compagnies américaines.
La Panam était la première en Guadeloupe, mais au début des années 1980, toutes les compagnies américaines ont déserté les Antilles, à cause des conflits sociaux, car leurs touristes ont moins de vacances que nous et sont plus sensibles à la stabilité sociale, à l'accueil et au service fourni.
Pour exemple aujourd'hui, Saint Martin est desservie par JetBlue depuis New York et WestJet vers Toronto et Calgary.
Les touristes embarquent sur des avions neufs, plus spacieux, avec un service réduit car les trajets sont plus courts et à un prix défiant toute concurrence."
TourMaG.com - Pensez-vous que ce système soit transposable aux Antilles françaises ?
M.M. : "Je pense qu'il va falloir les convaincre, par rapport à la barrière de la langue. Mais le projet est déjà à l'étude, puisque je crois qu'American Airlines reviendrait si le marché s'ouvre."
M.M. : "La croisière dite « basée », qui se fait dans la Caraïbe est la plus rentable pour la Martinique et la Guadeloupe, parce que les croisiéristes font le plein de fournitures sur place et débarquent les touristes.
De plus, avec la crise du Golfe et le printemps arabe, la destination est très demandée. Rien qu'à Saint Martin, il y a 4 bateaux, et bientôt 7.
Je suggère donc de faire de Basse-Terre (Guadeloupe) et Saint Pierre (Martinique) des ports de croisière, où les touristes pourront trouver un accueil et des activités sur place.
C'est pour cela que je n'ai pas proposé Pointe-à -Pitre, car elle donne un sentiment de ville inanimée, surtout le dimanche."
M.M. : "En effet, le parc hôtelier est obsolète, et pour le modifier, je suis pour une défiscalisation de projet, et non une défiscalisation pour la défiscalisation. Cela touche l'hôtellerie pure, pas seulement le tourisme, et cible surtout la rénovation du patrimoine existant.
Également, je propose de rallonger la période de propriété à 8, 10 ou 15 ans -bien sûr avec un allongement de la défiscalisation- pour éviter les projets à court terme."
TourMaG.com - Vous soulevez d'autres problèmes majeurs...
M.M. : "Oui, notamment celui de la saisonnalité, qui constitue un handicap énorme, puisque la saison haute s'étale entre décembre et fin avril.
Je voudrais en faire un atout en créant 2 saisons : une l'été, avec des prix attractifs. Puis miser sur l'événementiel, comme la Route de Rhum, les festivals, le tourisme d'affaires et de congrès en saison basse.
Cette 2e saison permettrait également d'attirer une clientèle senior, qui n'a pas d'obligation de calendrier.
Cela permettrait de rallonger le temps de travail pour les saisonniers antillais et de créer un équilibre sur un an, à l'exemple de Saint Martin, où les salariés savent très bien qu'en saison haute, ils feront une grande quantité d'heures, et auront du temps pour récupérer en saison basse.
Mais cela nécessite une discussion avec les syndicats."
TourMaG.com - Justement, en parlant des syndicats...
M.M. : "Je ne suis pas contre le droit de grève et il est normal que les salariés se battent pour leurs droits sociaux. Mais les mouvements sociaux représentent un handicap majeur et les touristes ne doivent pas être pris en otage.
Je n'ai pas de solution miracle à apporter, je n'en ai pas la maîtrise."
M.M. : "Par environnement, je veux dire cadre de vie, car les touristes y sont sensibles. Or, il y a 2 problèmes en Guadeloupe et en Martinique.
Tout d'abord la question des déchets qui sont abandonnés sur les chemins empruntés par les touristes, et pour laquelle je pense que l'Etat doit donner un coup de main.
Et puis, le problème de l'affichage publicitaire anarchique et les Antillais n'en ont pas conscience.
Surtout qu'une loi existe, qui permet l'élaboration d'un règlement local par les collectivités. Il suffirait juste que chaque île établisse ses règles d'affichage.
Enfin, je souligne l'immense biodiversité des Antilles et la présence de parcs nationaux, qui permettraient d'en faire une destination verte, tout en valorisant le patrimoine naturel."
source: TourMag