Enquête réalisée par lemonde.fr 
Ici, c'est le royaume du bon goût. Pas de hall d'entrée gigantesque, semblable à une nef de cathédrale, comme on en voit tant aux alentours. Pas de décoration tape-à-l'oeil. Pas d'animation bruyante. Les clients sont bercés par le bruit des vagues et le chant des mouettes. La plage est belle. On a pris soin de la laisser à l'état sauvage. Ici, le luxe n'est pas tapageur. Jacques et Bernadette Chirac, Nicolas Sarkozy, Bernard Tapie, Philippe Séguin et bien d'autres sont familiers des lieux.

Situé à Gammarth, dans la banlieue nord de Tunis, Le Résidence, établissement de luxe, est unique en son genre. Le prix des chambres est le double, voire le triple de celui des palaces environnants. Pourtant, l'hôtel ne désemplit pas. "Nous affichons complet presque toute l'année. Bien que présents sur Internet, nous ne cassons jamais nos prix. Nous préférons 50 nuitées à bon tarif que 500 nuitées bas de gamme, indique un membre de la direction. La Tunisie souffre de son image bon marché à l'étranger. Nous avons décidé d'en être le contre-exemple, et ça nous réussit !"

Peu d'hôteliers peuvent en dire autant en Tunisie. Hormis en juillet et en août, les hôtels de Djerba, Sousse, Hammamet ou ailleurs ont des difficultés à remplir leurs chambres. Le taux d'occupation annuel est d'à peine 52 %, les quatre-étoiles (norme tunisienne) s'en sortant mieux que les autres. Le paradoxe est que le tourisme se porte bien au pays du jasmin.

L'année 2007 promet même d'être un très bon cru. Mais la Turquie, l'Egypte, le Maroc et la Croatie sont des concurrents de plus en plus sérieux. Et, surtout, l'actualité internationale retentit immédiatement sur l'industrie touristique tunisienne, pourvoyeuse de 100 000 emplois directs et de plus de 300 000 emplois indirects. Personne, en Tunisie, n'a oublié les conséquences du 11 septembre 2001. Alors que les recettes n'avaient jamais été aussi bonnes - 2001 reste l'année de référence, le tourisme plonge brusquement. Du jour au lendemain, les Européens et les Nord-Américains fuient le monde arabo-islamique, jugé trop dangereux. 2002 est une année catastrophique pour la Tunisie. Comble de malchance : en avril, un attentat perpétré à la synagogue de Djerba fait 21 morts, dont 14 touristes allemands.

Pour la Tunisie, c'est un désastre. Les Allemands sont les deuxièmes visiteurs après les Français. Leur nombre a diminué de moitié depuis 2002. Mais, pour le ministre du tourisme, Khelil Lajimi, l'attentat de Djerba n'explique pas tout. "Nous réfléchissons à la stratégie à mettre en oeuvre. La clientèle allemande est très importante pour nous, explique-t-il. Ce sont des touristes haut de gamme, qui restent plus longtemps que la moyenne et dépensent beaucoup."

Pour rester compétitive, la Tunisie sait qu'elle doit se débarrasser de son image bon marché, élargir sa clientèle et diversifier ses produits de façon à prolonger la courte saison touristique des mois d'été. Mais il n'y a pas de solution miracle. "Nous sommes obligés de brader nos chambres pour attirer le client et rembourser nos dettes ! Les tours opérateurs (TO) européens nous imposent leurs diktats. Ils nous étranglent !", disent avec amertume la quasi-totalité des hôteliers tunisiens.

Du coup, les cinq et quatre-étoiles baissent leurs tarifs au prix des trois-étoiles, et ces derniers se bradent pour parfois moins de 200 euros la semaine, tout compris, même le vol. Au total, personne n'y trouve son compte. Ni le client, déçu par la qualité médiocre des prestations offertes à ce prix, ni l'hôtelier, dont le bénéfice est dérisoire. Obtenir l'intervention de l'Etat pour qu'il fixe des prix planchers ? Beaucoup le réclament.

Le ministre Khelil Lajimi exclut cette hypothèse. "Nous sommes dans une économie libérale. Si d'aventure nous imposions des prix, les premiers à crier à l'interventionnisme seraient les hôteliers ! C'est à eux de se contrôler et de s'organiser", répond-il.

Tenir tête aux TO ? Ce serait possible - peu de pays à deux heures d'avion de l'Europe offrent autant d'atouts que la Tunisie -, à condition que la qualité soit au rendez-vous. En particulier que les établissements de standing méritent leurs étoiles et que le personnel soit mieux formé. "Dans ce domaine, nous avons encore de gros efforts à faire", reconnaît le directeur d'un grand hôtel.

L'objectif, pour les années à venir, est de développer davantage certaines "niches", plus rentables que le balnéaire (80 % du tourisme actuel), et de ramener, pendant les mois creux, une clientèle à fort pouvoir d'achat.

La thalassothérapie, en pleine expansion - une cure, tout compris, à Mahdia, par exemple, revient moitié moins cher qu'à Quiberon - est l'un de ces créneaux, mais pas le seul. Les golfeurs et les croisiéristes (clientèle haut de gamme) sont particulièrement courtisés. De même que les retraités européens, que le Maroc sait si bien attirer. Le tourisme de congrès devrait lui aussi être exploité.

La ville nouvelle de Yasmine Hammamet, à 60 kilomètres de Tunis, en est l'illustration. Quant au patrimoine culturel, exceptionnel, il pourrait être mieux valorisé. Le site punique de Carthage ou les ruines romaines de Thuburbo Majus et d'El-Jem, notamment, mériteraient d'être mis en vedette. Mais, là encore, se pose un problème de formation, celle des guides cette fois.

Le tourisme tunisien reste promis à un bel avenir, à une condition : qu'il mise sur la qualité, non sur la rentabilité à court terme. Les autorités en ont conscience. Les hôteliers aussi. Mais le long terme exige de l'audace et un vrai courage politique.


lemonde.fr. Article paru dans l'édition du 09.11.07