Les indicateurs du tourisme tunisien sur le marché allemand sont encore au rouge. Malgré les pronostics positifs en vue d’un été sous le signe d’une légère reprise, les résultats ne seront tout de même pas performants.

L’hiver n’a pas été clément. La régression a persisté atteignant 8%.
En été, le marché allemand remontera légèrement la pente avec une hausse de 5%. Elle ne permettra pas cependant de se repositionner. Car l’année 2007 finira de toute façon au rouge.

Pour essayer de comprendre les raisons de ce fléchissement et tenter de récupérer cette clientèle stratégique, le magazine touristique et de business allemand FVW a tendu la main à l’Office National du Tourisme Tunisien (ONTT). Et d’organiser les 21 et 22 mai un workshop sur le marché allemand à Yasmine Hammamet. Les TO et les agents de voyages ont été réunis pour dresser un tableau des tendances du touriste allemand. D’emblée, ce dernier a changé de comportement. La conjoncture économique et les mutations sociales obligent, il n’est plus possible de l’approcher comme d’habitude. Les moyens traditionnels d’approcher ce marché ne sont plus valables. La concurrence est de plus en plus efficace. La Turquie, l’Egypte, la Grèce, l’Espagne, l’Italie et le Maroc pour ne citer que ces destinations, sont en train de faire un travail efficient et fructueux. En témoignent leurs réalisations durant ces dernières années notamment aux lendemains des évènements du 11 septembre. La compétitivité de leurs produits est évidente.

Entre temps, il s’avère que le produit tunisien n’arrive pas à répondre aux attentes des touristes allemands. Il est désormais « vieux jeu ». Pourtant, l’administration de tutelle ne cesse de plaider pour une destination aux multiples facettes et de souligner les richesses des différentes régions du pays. Mais comme les résultats ne sont pas en conséquence avec ce discours, il y a sans doute anguille sous roche. C’est que la promotion ne se fait toujours pas convenablement. On continue de vendre la destination sous son vieux label, le balnéaire en l’occurrence. Les efforts théoriques de mettre en avant les spécificités régionales ne sont pas pour autant mises en valeur dans les campagnes publicitaires.

En contre partie, la concurrence ne lésine pas sur les moyens. Le Maroc par exemple, qui a acheté en l’occurrence des actions chez TUI, l’un des principaux TO allemands, a par ailleurs réservé ses espaces publicitaires dans les bus et les métros français pour les dix prochaines années. Ce qui atteste de l’importance du défi. Chacun s’évertue de sa part pour placer la barre au plus haut possible. Entre temps, la Tunisie ne réussit toujours pas son effort publicitaire. Jusque là l’Etat continue de cautionner les professionnels qui profitent essentiellement de la publicité institutionnelle. D’ailleurs, ils ont brillé par leur absence au workshop de FVW. Ce qui a étonné les participants aux travaux. Pourtant, il n’y pas eu une seule rencontre auparavant où ces mêmes professionnels n’ont pas « pleuré » le marché allemand qui a perdu du terrain. Or, ils semblent désormais démissionnaires. A l’exception de Jalel Bouricha, le vice-président de la Fédération Tunisienne de l’Hôtellerie (FTH), les membres du conseil n’ont pas pris part aux travaux du workshop FVW. Les présidents des fédérations régionales n’ont pas été présents non plus. A priori, le marché importe peu !

Raouf Jomni, le Directeur Général de l’ONTT « La situation nous préoccupe »


Lors de l’ouverture des travaux du workshop, Raouf Jomni, le DG de l’ONTT, a présenté la stratégie de développement du tourisme tunisien. Il a passé en revue les objectifs de cette stratégie ainsi que les principales initiatives de l’administration afin de mieux vendre la destination. Néanmoins, ces différents points, quoique importants, ne représentent pas des solutions concrètes et initiatives. Car, pour repenser la promotion du tourisme tunisien sur le marché allemand, il est temps aujourd’hui de passer à l’action, de concrétiser les objectifs soulignés par la stratégie et d’être pratiques avec les clients. Il ne s’agit pas de leur présenter des projets ou des dossiers mais de leur formuler une offre qui tienne compte de leurs attentes.

Et le Dg de l’ONTT d’affirmer « pour y voir plus clair, l’ONTT a procédé à une étude au mois de novembre dernier, laquelle étude a été suivie par l’organisation d’un forum en collaboration avec la chambre tuniso- allemande du commerce. » Pourtant, les résultats de cette étude qui semble en grande partie avoir éclairé l’ONTT sur les lacunes à combler, n’ont pas encore été rendus publics. A chaque fois que ce travail est évoqué, c’est sans rentrer dans les détails. N’empêche que selon les échos, la relance du marché allemand est tributaire d’un budget de l’ordre de 5MD. A préciser que les spécialistes de ce marché s’accordent à dire que cette enveloppe ou un peu moins, permettrait d’atteindre une partie des objectifs mais sur une année seulement. Car, le travail sur ce marché doit se poursuivre sur trois ans afin d’assurer de l’efficience.
« Vous connaissez bien le rôle stratégique du marché allemand dans le développement du tourisme tunisien, qui, des années durant, accaparait le premier rang en nombre d’entrées et de nuitées, a souligné Raouf Jomni. Cependant, sa situation actuelle, caractérisée par l’irrégularité des performances et la lenteur de leur progression, nous préoccupe. »

Les agents de voyages allemands font le diagnostic


Pour trouver des explications au fléchissement du marché allemand, le magazine FVW a invité des agents de voyages allemands qui n’ont pas hésité à faire leur diagnostic. Ce dernier a révélé la réticence de ces touristes à cause des services hôteliers dont la qualité laissait à désirer. Ils sont en plus « fatigués » de la Tunisie et las de la destination qui ne leur offre plus de nouveautés. Ils considèrent qu’ils y ont assez vu et qu’ils ont fait le tour des excursions.

« Pourquoi pas de nouvelles choses ? », se demandent les agents de voyages.

Surtout que les touristes allemands aimeraient bien découvrir en Tunisie d’autres formes de sport comme les randonnées, le VTT et les sports extrêmes. Pour ce, que propose la destination ?

Pour leur part, les seniors qui constituent maintenant un potentiel fort important en Allemagne, semblent avoir un grand problème dans les hôtels tunisiens, notamment les handicapés qui mettent le confort à l’index.

En effet, les établissements hôteliers ne sont pas aménagés en conséquence. Par ailleurs, les agents de voyages ont souligné un autre point très important. Il s’agit des arguments de vente de la Tunisie et qui sont les mêmes que ceux de la Turquie. Et de s’interroger « comment la Tunisie se distingue-t-elle ? »

D’autant que les Allemands sont réputés pour leur caractère spécial. Ce qui exige une certaine conduite chez les réceptifs. En ce sens que ces clients n’aiment pas partager leur séjour avec certains touristes d’autres nationalités.

« Quelles solutions propose la Tunisie à ce problème », ont conclu les agents de voyages.
En réponse à leurs remarques, voici ce que propose Afif Maherzi, le DGA de l’ONTT :
- Le programme de mise à niveau des hôtels et l’entrée en vigueur des normes 2005 permettront d’améliorer la qualité des services. Juridiquement, aujourd’hui, les établissements hôteliers doivent tenir compte des handicapés.
- La direction des nouveaux produits.
- Les arguments de vente de la Tunisie lui ont permis jusqu’alors de se confirmer en tant que destination balnéaire. Mais il y a un grand effort de diversification du produit.
- Une société d’animation qui va travailler suivant des thèmes comme Jugurtha et Hannibal.
- Pour les vacances de longue durée, nous sommes en train de diversifier l’offre d’hébergement.

Nasser Mani, le représentant de l’ONTT à Frankfort :
« C’est un problème de comportement général »
« A mon avis, la baisse de rendement n’est pas liée à la promotion. Il s’agit plutôt d’un comportement général du marché. Plusieurs facteurs se sont réunis pour influer sur la consommation et la demande. En effet, on a enregistré en Allemagne l’augmentation de la TVA qui est passée de 16% à 19%. S’ajoutant également à d’autres difficultés économiques, les loisirs ne sont plus aussi sacrés qu’ils ne l’étaient auparavant.

Les Allemands partaient en vacances en hiver et en été. Ils se permettaient par la suite un fractionnement de manière à programmer certaines escapades dans les destinations limitrophes ou celles qui proposent des tarifs intéressants. Actuellement, le low cost favorise les départs en général et en particulier à destination des l’Italie et de l’Espagne (Maillorque précisément).

Selon le classement des destinations qui ont connu une affluence des touristes allemands, établi par les TO, l’Espagne et la Grèce ont effectivement profité de cette conjoncture et du recul de la Turquie. Nous avons certes accusé une baisse de 4% à la fin de 2006. Mais elle reste moins importante que celle enregistrée chez les concurrents directs à savoir la Turquie et l’Egypte.

Pour expliquer ce comportement, il se trouve que la perception du pays arabo-musulman a influé. La guerre au Liban aussi. Et ce à cause d’un amalgame qui se fait sentir. La déclaration du Pape et le problème des caricatures ont été également pour beaucoup dans cette réticence. Vient s’ajouter aussi un autre facteur, celui du beau temps en Allemagne auquel les Allemands n’étaient pas habitués. Ils ont eu l’hiver dernier des températures clémentes inhabituelles et un temps ensoleillé contrairement à d’habitude. D’ailleurs, le problème des changements climatiques n’est pas à sous-estimer.

Mais ce que je voudrais souligner c’est le paradoxe qui marque la conjoncture économique allemande actuellement. Au moment où on annonce une croissance économique de l’ordre de 2,7%, la consommation n’en bénéficie pas. C'est-à-dire que la consommation ne traduit pas cette croissance.

N’empêche que la tendance est positive pour cet été. On enregistrera une hausse de 5% qui est importante en comparaison avec d’autres destinations. Car le problème est général. Pour preuve, cette année a été placée sous le signe du last minute par excellence. Pourtant, il n’y a pas eu de demande lors des vacances de Pâques confirmant ainsi le fléchissement. Ce qui a poussé les TO eux-mêmes à revoir leurs stratégies.

Pour ce qui est de la Tunisie, il faut investir dans le marché et améliorer le produit. Cet investissement ne doit pas se faire d’une manière ponctuelle mais sur 3, 4 ou 5 années avec un budget conséquent. Pour ce, il faudrait déployer environ 5MD par an. Car l’objectif est de provoquer le client et la demande et d’obliger ainsi l’agent de voyage à vendre la destination parce qu’en fait c’est simple, face à la demande, le TO finira par répondre. Mais en plus de nos atouts majeurs, il faut développer le para-hôtelier. »

Ali Miaoui, le représentant de Tunisair en Allemagne : La Tunisie a atteint un million d’Allemands par accident !

TMG.

Quels sont les axes sur lesquels s’articule votre présentation ?
A.M. J’ai opté en premier lieu pour une présentation générale de Tunisair car c’est important de vendre mais également de connaître la compagnie qui est la 1ère entre l’Allemagne et la Tunisie. Ensuite, j’ai parlé de l’environnement où opèrent les 3 principaux TO à savoir TUI, ITS et Thomas Cook. Et enfin, j’ai présenté la Tunisie des 4 dernières années. Pour ce qui est de Tunisair qui fêtera l’année prochaine son 60ème anniversaire, elle possède d’une flotte de 30 appareils dont la majorité sont des Airbus contre 40% d’avions Boeing. La compagnie qui a transporté l’année précédente 3,6 millions de passagers est tout à fait dans les normes. Il importe de signaler que la compagnie a engagé un plan de restructuration qui s’est réalisé dans la douleur et la souffrance. Mais qui a permis de se fixer sur les centres de profit. A partir de 2004, Tunisair a commencé en effet à en profiter. En 2005, elle a enregistré presque 20MD de bénéfices. Et de continuer sur cette même lancée en 2006 pour faire encore mieux. Et ce, malgré la conjoncture difficile marquée en particulier par la hausse des prix des carburants. On a réussi tout de même à ses réinventer et on est redevenu dans le vert. Concernant l’environnement, il va sans dire qu’on assiste à une situation de changement permanent en Europe et plus particulièrement en Allemagne. TUI et First Choice réalisent un chiffre d'affaire de 17 milliards d'Euros. Thomas Cook et My Travel, 12 milliards de d'Euros. ITS ne manque pas non plus d’importance. Ces trois TO sont en effet de plus en plus géants. De surcroît, ils sont en train de remettre en question leur système intégré. Ce qui explique que Thomas Cook a donné un ultimatum à sa compagnie aérienne Condor pour qu’elle se redresse sinon il va s’en passer. TUI a maintenu la sienne rebaptisée TUI-FLY.com pour laquelle il n’a pas trouvé d’acheteur.

TMG. Quelle est la différence que vous relevez entre le Low fare et le Low cost ?
A.M.
il y a sans doute une différence. Pour le low fare, il ne s’agit pas de bas coût mais plutôt de bas tarifs qui sont en réalité des tarifs d’appels dont l’objectif est d’inciter les clients à voyager sur ces compagnies. Je cite à ce titre transavia.com ; ce sont à mon sens des compagnies dangereuses hybrides qui ne sont charter ni low cost. D’ailleurs ce dernier ne peut pas résulter d’une évolution. C'est-à-dire qu’une compagnie doit naître low cost et non pas évoluer vers ce la bas coût. Car pour lancer ce concept, il faut avoir la structure nécessaire.

TMG. En Allemagne, est-ce- qu’il y a aujourd’hui du low cost ?
A.M. Je pense que non. C’est plutôt du low fare.

TMG. Quel a été l’impact des années de crise du marché allemand sur Tunisair ?
A.M.
Quand on est passé d’1 million de touristes allemands à 500 mille, on a souffert bien évidemment. On a été acculé à fermer des bureaux à Berlin et Hambourg et on a supprimé les vols de Tozeur et Tabarka qui n’étaient plus rentables. On s’est recentré sur le régulier notamment sur Monastir (+ 2 fréquences), Tunis et la dernière liaison de Djerba. En 4 ans (2002-2006), le marché a régressé de l’ordre de 9%. Mais Tunisair a réussi à tirer son épingle du jeu avec +21% en activité, +59% en Chiffre d’Affaires, +11 points en coefficient de remplissage, +5% au départ du marché allemand et 39% de part du marché entre charter et régulier. Dans nos objectifs, nous visons en 2007, une augmentation de 6% du trafic et 11% du Chiffre d’Affaires.

TMG. A votre avis, quelles sont les causes de la régression du marché allemand ?
A.M.
tout d’abord, je pense que la Tunisie a atteint les chiffres très importants sur le marché allemand quand d’autres marchés étaient en crise tels que les pays de l’ex-Yougoslavie qui étaient déchirés par la guerre. Ce qui fait que le potentiel de la Tunisie sur ce marché devrait se situer aux alentours de 700 mille clients et non pas 1 million. Mais pour atteindre cet objectif, il faut investir davantage comme l’ont fait d’autres destinations. Le Maroc, la Turquie et la Grèce sont passés à une vitesse supérieure. Certes, certains concurrents ont copié sur le modèle tunisien. Mais ils ont multiplié les budgets.

TMG : Qu’est ce qui devrait changer d’après vous ?
A.M :
Il faut changer l’image et cela demande beaucoup d’argent. Il faudrait alors travailler sur une période de 3 ans, investir et commencer par la suite à récolter les fruits de cet investissement.

 

Stefan Niemann, Directeur des produits sur la Tunisie et le Maroc à TUI
Il faut repenser la pub et améliorer la qualité des services... 24/05/2007  |  En savoir plus