Haut lieu de la contestation qui a contraint les caciques de l’ancien régime à rendre le tablier, la place de la Kasbah ressemble en cette matinée du lundi 7 mars 2011 à n’importe quel banal quartier abritant des institutions gouvernementales.

La couleur blanche tapisse de nouveau les murs des bâtiments du Premier ministère et des bâtiments gouvernementaux environnants.
Les colonnes, les allées, les arcades sont redevenues fades, incolores, inodores, impassibles comme elles l’étaient du temps d’un certain général sanguinaire qui avait mis son pays à feu et à sang comme le fit Néron, avant de léguer son héritage à une nomenklatura omnipotente et tentée de confisquer la révolution d’un peuple valeureux. Vous l’avez certainement compris.


Dans une Tunisie, dont les jeunes se sont sacrifié sur l’autel de la liberté, on gomme les témoins de cette histoire  de bravoure comme s’il s’agissait des traces d’un … crime odieux!

Durant leurs glorieux sit-in à la Kasbah au cours des quels  ils ont courageusement bravé  le froid,  la faim et l’insécurité, les jeunes ont crié à gorge déployée pour chasser les derniers membres de la nomenklatura du dictateur sanguinaire Ben Ali d’un gouvernement qui a fait depuis sa nomination dans la confusion, l’hésitation et le flou le plus total… Ils ont aussi donné libre cours à leur imagination, à leurs sentiments et à leurs mains pour transformer les façades blanches des bâtiments gouvernementaux en une sorte de Mur de Berlin.

Des graffitis, des tags, des inscriptions  révolutionnaires ont été griffonnés tantôt avec une encre noire rappelant le passé obscur de 23 années d’oppression et l’avenir incertain, tantôt avec une encre rouge évoquant le sang des martyrs qui a coulé à flot.  Ce sont des témoins d’une époque à marquer d’une pierre blanche  dans l’histoire de la Tunisie, du monde arabe et même de l’Humanité. Ces tags barbouillés sur les murs des ministères qui représentaient naguère les institutions de la dictature racontent un long combat pour l’émancipation. Ce sont des  témoins historiques, un pan entier de la mémoire collective des Tunisiens, un patrimoine national inestimable.

La municipalité de Tunis a, pourtant, vu autrement en ordonnant  à ses employés zélés de «nettoyer» à la hâte  durant le week-end la place de la Kasbah. Le «mur de Berlin arabe» a été repeint en blanc. Le mur de Berlin, le vrai, a été,  lui, conservé intact pour l’Histoire et la mémoire…Tout ce qu’on y avait écrit et dessiné en 1989 est toujours là pour que petits écoliers allemands et touristes puissent le visiter et le revisiter à souhait…

Monsieur le maire, monsieur le Premier ministre, monsieur le responsable…. Sachez que ces tags que vous avez assimilés à des saletés sont le symbole de notre honneur retrouvé. Les avoir gommé comme une obscénité est un acte  de mépris. Un patrimoine national dilapidé. Un cri étouffé, un élan brisé, un scandale national…