Par Wahid Ibrahim (retraité de l’ONTT)
Je suis pour la relance mais pas à n’importe quel prix.
Il convient d’abord de mettre en place une cellule de veille tactique qui suit en temps réel la situation du booking ainsi que les engagements aériens des TO aussi bien dans le sens du développement que celui du délestage.
Quelle stratégie de relance adopter ?
Au niveau de la communication
Toute campagne publicitaire classique vantant la beauté et la diversité ou je ne sais quoi encore serait totalement stérile tant que le pays continue à bouger, à juste titre d’ailleurs, pour assurer un avenir libre et démocratique. Dans une conjoncture pareille, même la clientèle tunisienne hésiterait à fréquenter les hôtels. Que dire des étrangers ?
D’autres actions de communication peuvent être par contre envisagées telles que :
-la publication sur les réseaux sociaux et les sites des TO de clips vidéo portant témoignages vivants de clients ayant choisi de résider dans nos zones touristiques et ce malgré les injonctions des autorités de leur pays d’origine. De tels clips doivent être spontanés et ne comporter aucun slogan publicitaire. Ces clips seront beaucoup plus crédibles que les spots de commande.
- l’invitation d’un maximum de journalistes politiques, économiques, culturels et touristiques de tous les médias pour effectuer des reportages libres sur «un peuple qui bouge pour assurer des lendemains libres et démocratiques ».Il est tellement rare et exceptionnel de vivre de nos jours la naissance d’une démocratie en direct, sans violence et sans maquillage que les journalistes du monde entier voudront venir en couvrir les péripéties. Les articles et les émissions TV générés par ces invitations prépareront favorablement les esprits des lecteurs et des téléspectateurs pour une reprise de leur fréquentation de notre pays.
- Envoi de délégations composées du Ministre du tourisme et du Secrétaire d’état accompagnés de professionnels pour une prises de contacts individualisés avec les TO partenaires sur chaque marché. Le message à transmettre est celui d’une destination qui avance vers un avenir plus sûr et plus serein et résolument engagé dans une stratégie de qualité. On doit leur expliquer leur rôle majeur dans la préservation des emplois du secteur touristique, condition sine qua non de toute stabilité sociale. Il s’agira, en quelque sorte de les associer à ce formidable projet de construction démocratique dans notre pays.
- Organiser un maximum de conférences de presse sur les différents marchés pour donner une image rassurante sur ce qui se passe chez nous et leur communiquer l’enthousiasme d’un jeune pays qui, par des modestes moyens, est en train de réussir à construire en quelque mois, ce que d’autres ont mis des siècles à accomplir. Ces conférences doivent être dignes, en phase avec l’importance de l’événement et ne comporter aucun élément de folklorisation.
- Demander aux ambassadeurs tunisiens anciens et actuels dont la compétence a été vérifiée de sortir leurs carnets d’adresse pour actionner les leviers de lobbying dans leur sphères d’influences et susciter des prédispositions favorables vis à avis de notre pays.
- Mobiliser l’énergie des amis de la Tunisie sur chaque marché (ex ambassadeurs étrangers, personnalités politiques, économiques et culturelles…natives de Tunisie) pour qu’elles œuvrent à neutraliser les recommandations de prudence figurant dans les sites officiels des gouvernements de leurs pays.
- Organiser un maximum d’Eductours d’agents de voyages pour qu’ils viennent constater de visu la normalité de la vie dans les zones touristiques tunisiennes. L’expérience directe vaut mieux que toutes les campagnes de publicité et les discours officiels. Ne perdons pas de vue que l’agent de voyages reste le prescripteur et le conseiller principal malgré l’avancée des nouvelles technologies de l’information.
- Améliorer la visibilité de la destination au niveau des salons touristiques ciblant le grand public.
- La communication évènementielle ne doit pas être en reste. On ne doit pas attendre la stabilisation totale de la situation pour réfléchir dès maintenant à l’organisation de méga évènements d’animation dans chaque région touristique. Ces évènements ludiques qui pourraient prendre la forme de « méga fêtes ou Woodstock de la Liberté et de la Démocratie » devront être conçus comme de véritables produits touristiques commercialisables à travers les TO et sur Internet. Ces évènements /produits cibleront les jeunes étrangers et tunisiens et constitueront de grands moments de joie et de partage.
Au niveau du produit
- Profiter de ce « creux saisonnier» pour engager de réels travaux de mise à niveau des unités hôtelières défaillantes ou ‘fatiguées’
- En profiter également pour organiser des séminaires de formation et de perfectionnement du personnel. Les hôtels peuvent se grouper à trois ou à quatre en vue d’initier de véritables petites académies ponctuelles ou durables.
- Prendre les mesures nécessaires pour qu’aucun employé ne soit mis en chômage technique et perdre sa seule source de revenus. En maintenant le personnel en exercice, on gagne sa confiance et on le motive pour qu’il donne le meilleur de lui même, à l’avenir. Renvoyer le personnel dans la conjoncture actuelle c’est ramer à contre courant par rapport aux idéaux défendus par les martyrs de cette Révolution. Une pareille attitude serait aussi irresponsable que peu citoyenne.
- Considérer chaque client actuellement en séjour dans nos hôtels comme un vecteur promotionnel potentiel et lui réserver la plus grande attention et le meilleur service. Rien ne vaudra l’efficacité du ‘bouches à oreilles’ pour réamorcer la pompe touristique.
En matière de commercialisation :
- Ne pas succomber aux tentations de bradages et résister aux demandes des TO qui, profitant de la conjoncture, seront tentés d’exiger de meilleurs tarifs.
- Trouver des mécanismes au niveau de l’Administration et de la Profession pour soutenir la programmation aérienne des TO. Sans programmation aérienne et sans packaging, il est inutile d’espérer relancer la demande à court terme.
- Procéder sans délais à l’ouverture du ciel et autoriser toute initiative de transport aérien quel qu’en soit le mode. Maintenant que les ‘loups’ sont partis, les démarches protectionnistes ne doivent plus justifier la fermeture du ciel tunisien.
- Sortir progressivement de la ‘mainmise’ des TO en créant sans délais et avant la fin de l’année 2011 des sites marchands B to B et B to C et se préparer sérieusement à l’ouverture du ciel et à l’avènement du transport aérien Low Cost.
- Adopter ,dès maintenant ,une politique tarifaire hôtelière revalorisée pour les saisons 2012-2013.Ce rattrapage permettra de vendre la destination à sa juste valeur ,à attirer une meilleure qualité de clientèle grâce à une qualité de services améliorée et à garantir une meilleure rentabilité micro et macroéconomique .
En matière d’aménagement :
- Tout le monde sait maintenant que les plans d’aménagement des zones touristiques engagées et celles en projets ont été pour la plupart établis en fonction des désirs et des exigences des prédateurs Bénaliens et Trabelsiens. Il s’est même trouvé des ministres du tourisme pour brandir le prétexte du ‘Tourisme Résidentiel’ pour justifier des plans d’aménagement qui font la part belle aux réalisations immobilières spéculatives projetées par la ‘Famille’. Les zones de Lella Hadhria à Jerba et de Lella H’lima à Zarzis en sont des exemples patents .D’autres réserves foncières sont dans le ‘pipe’ de l’AFT en vue de satisfaire les demandes supplémentaires que la Famille pouvait formuler.
Aussi, comme dans le doute il vaut mieux s’abstenir, convient-il de ‘stopper ‘ ce qui allait être engagé, de réexaminer les options prises et de différer des projets qui enfoncent le clou du balnéaire. Le mal de notre tourisme ne vient-il pas d’une option d’aménagement touristique du littoral qui s’essouffle et qui a entrainé la monotypie de l’offre, l’option de tourisme de masse, la saisonnalité trop marquée de la fréquentation touristique, la précarité et l’intermittence de l’emploi et le bradage ?
Avec un taux d’occupation actuel de 50%, ne vaut-il pas mieux améliorer l’existant en améliorant l’environnement extra hôtelier et en structurant les zones traditionnelles par des équipements d’animations qui lui font actuellement défaut ? Grâce à un programme judicieux de promotion de la qualité et d’une politique de communication appropriée, il est possible d’attirer, été comme hiver, une clientèle d’un niveau culturel et matériel plus élevé.
Arrêtons de croire qu’il n ya d’aménagement touristique viable que les pieds dans l’eau face à la mer. Il est grand temps que nos responsables touristiques adoptent une philosophie d’aménagement touristique dos à la mer, c’est à dire un aménagement qui valorise les trésors naturels et culturels des régions de l’intérieur. Un aménagement qui favorise la durabilité des ressources, l’intégration à l’économie régionale et le montage de petits projets non capitalistiques à la portée des jeunes diplômés de chaque région. Des études sur le développement touristique des régions de Sidi Bouzid, de Kasserine, du Kef et de Kairouan ont été réalisées depuis 3 ans mais elles sont restées dans les tiroirs. La mise en œuvre de ces études peut donc s’opérer dans les plus brefs délais et apporter un peu d’espoir à une jeunesse pétillante d’engagement responsable et d’enthousiasme fécond. La réussite de cette démarche suppose évidemment l’octroi d’incitations spécifiques à l’investissement et la création d’une structure de financement apparentée à une banque de développement touristique régional. Sans écarter la possibilité de créer une structure publique à l’image de la SHTT pour réaliser les premières unités pilote qui serviront de modèle et de centres de formation adaptée aux nouvelles formes de tourisme. Il s’agira de créer un véritable maillage de maisons d’hôtes, de gites d’étapes, d’hôtels de charme, de restaurants typiques, de tables d’hôtes, de centres de campings, de caravaning et d’animations et de centres sportifs qui constitueront l’amorce nécessaire d’un tourisme écologique et culturel viable et crédible.
Quant aux moyens nécessaires pour concrétiser cette option de développement, on pourrait les assurer en réorientant les milliards qui étaient réservés à la publicité institutionnelle prévue au titre de l’année 2011et dont l’engagement serait stérile compte tenu de la conjoncture. La stratégie de communication développée ci dessus serait à mon avis plus performante tout en étant moins budgétivore.
Au niveau de la gouvernance :
- Décentraliser les décisions de développement touristique régional par la création de Conseils Régionaux de Tourisme où toutes les parties publique et privées régionales sont représentées et qui doit fonctionner comme un guichet unique régional pour tout projet local agréé .La simplification des formalités est la seule clé de réussite du développement touristique régional.
En conclusion, il convient d’affirmer que la confiance qui est le moteur de toute activité touristique doit être réinstaurée à tous les niveaux :
- au niveau du promoteur hôtelier et touristique qui ne doit pas croire qu’un rééquilibrage social est antinomique avec la préservation de ses intérêts,
- au niveau des employés dans le secteur qui doivent être rassurés quant à la pérennité et la valorisation de leurs emplois,
- au niveau des partenaires voyagistes étrangers qui doivent continuer à établir des relations gagnants /gagnants avec notre destination,
- au niveau de la clientèle internationale qui doit être rassurée quant à la sécurité qui doit régner dans notre pays,
- au niveau de la population qui doit se convaincre que le tourisme est un facteur de promotion économique et sociale et un moteur de développement régional,
- au niveau de la clientèle nationale qui ne doit pas se sentir exclue des ressources touristiques de son pays.
Ce moment est une véritable chance pour opérer une véritable révolution tranquille mais efficace dans nos options de développement touristique. Nous n’aurons pas besoin d’une nième étude stratégique pour enclencher l’action .Il suffit de prêter attentivement l’oreille aux clameurs de notre jeunesse et tenter d’y répondre le plus tôt possible.
Wahid Ibrahim