La révolution du 14 janvier : une chance pour notre tourisme
Par Wahid Ibrahim (retraité de l’ONTT)
Les milieux professionnels du tourisme, habitués à un ronron général qui jusque là ne menaçait aucun de leur intérêt, commencent à se poser des questions sur l’avenir et le devenir de leur business à la lumière des nouvelles données politiques et sociales.
L’inquiétude se lit davantage sur les visages de certains promoteurs qui se prévalaient d’une trop grande proximité avec l’entourage familial de Ben Ali. Des analystes tunisiens et étrangers ont même relevé, ces dernières années, une véritable collusion entre l’argent de certains grands promoteurs touristiques et le pouvoir apparent ou occulte en place. On est allé jusqu’à évoquer l’existence d’un véritable lobby qui fait et défait les ministres du tourisme, oriente les acquisitions foncières vers les zones qui correspondent aux intérêts des Ben Ali et des Trabelsi, charcute les plans d’aménagement selon leurs désidératas et bloque toute velléité de développement en dehors des régions du littoral.
Certains ministres du tourisme, faisant preuve d’une docilité et d’un excès de zèle exemplaires, n’ont pas hésité à consacrer le plus clair de leur temps et de leur énergie à satisfaire des demandes précises de la Famille en matière d’acquisitions foncières .. C’est ainsi qu’on les a vus se réunir beaucoup plus avec les responsables de l’Agence Foncière Touristique qu’avec l’ONTT. Suivez mon regard !
Cela a entrainé un véritable massacre environnemental et abouti à la banalisation (ou plutôt à la Benalisation) de l’offre touristique tunisienne avec son cortège de bradage, de densification spatiale et de dégradation de la qualité de services. Même les campagnes de publicité de l’ONTT à l’étranger n’ont pas échappé à leur appétit insatiable et vorace puisque l’un des gendres des Trabelsi, propriétaire d’un réseau d’affichage urbain en Tunisie s’est positionné comme intermédiaire pour cueillir (Hnani Bnani) des commissions qui se chiffrent en millions de dinars sur toute campagne d’affichage lancée par l’ONTT sur les marchés émetteurs. Sans compter les nominations de complaisance aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger à des postes clés et la mise à l’écart de profils moins dociles ou moins pistonnés mais autrement plus compétents.
Loin de réaliser encore la profondeur et la portée de la révolution qui a secoué leur léthargie, les professionnels du tourisme tunisien ne vont pas manquer de réfléchir sur le meilleur moyen de réamorcer la pompe touristique. Et ils ont raison car les entreprises hôtelières touristiques tunisiennes sont certes des entités économiques privées mais elles représentent aussi un acquis national à plus d’un titre qu’il convient de préserver. L’activité touristique qui a bénéficié d’une aide substantielle et déterminante de l’Etat a prouvé qu’elle était un moteur de développement économique et social, qu’elle comporte des effets induits indéniables sur les autres secteurs et qu’elle représente 350000 à 400000 emplois directs et indirects. Pour toutes ces raisons et d’autres encore que le contexte de cet article ne permet pas d’évoquer, une réflexion sur les voies et moyens de la relance s’impose.
Tout d’abord, par respect aux martyrs qui son tombés pour que le peuple respire ce formidable air de liberté, on n’a pas le droit de rapporter la crise du tourisme tunisien à la Révolution. La Révolution n’est pas la cause de la crise de notre tourisme .Notre tourisme était déjà en crise, avant même l’auto immolation du héro Bouazizi.
Ensuite, j’estime que le qualificatif « Révolution de Jasmin » dont les médias francophones l’ont affublée est un monument de mièvrerie et de naïveté communicationnelle. On a confondu Sidi Bouzid avec Sidi Bou Said et cherché à touristifier cette Révolution de la Dignité et de la Liberté.
A regarder de près et en bousculant les grilles traditionnelles de lecture, on découvrira que cette Révolution est une véritable chance pour notre tourisme grâce à l’extraordinaire capital sympathie qu’elle est en train de créer à l’échelle mondiale et à l’extraordinaire degré de notoriété qu’aucune campagne de publicité n’a pu réaliser à ce jour. Cette révolution est une occasion rêvée pour que le tourisme tunisien fasse la sienne de révolution et sorte de l’ornière dans laquelle il s’est enlisé. Notre tourisme doit révolutionner notamment sa philosophie d’aménagement, ses modes de production, ses méthodes de commercialisation et sa politique de communication.
Notre tourisme doit certes sauvegarder l’acquis mais il doit se mettre à niveau dans le sens d’une meilleure intégration sociale .Cette Révolution vient du peuple et toute démarche de développement se doit de répondre aux attentes du peuple .La pérennité de l’entreprise touristique dépendra désormais de sa capacité à opérer une meilleure irrigation régionale et à reconnaître la légitimité d’une répartition juste et équitable entre la valeur Capital et la valeur Travail. Le tourisme étant un secteur de service d’homme à homme par excellence on doit trouver une solution radicale aux problèmes de la précarité et de la saisonnalité de l’emploi touristique. La relation employeur/employé ne doit plus être une relation exploiteur/exploité. Relevons au passage l’extraordinaire maturité des jeunes qui ont été les véritables pilotes de cette Révolution. A aucun moment, pas un seul touriste n’a été gêné ou molesté. A aucun moment, on n’a touché, dégradé ou pillé une seul établissement hôtelier. C’est dire la conscience de nos jeunes quant à la nécessité de préserver les hôtels et les entreprises touristiques.
Certes, le tourisme tunisien connaît ces jours-ci un tarissement compréhensible des sources émettrices de touristes .Il n’est pas question de culpabiliser quiconque, ni au niveau interne, ni au niveau externe. Restons optimiste et regardons devant, sans trop paniquer ni se presser. Il faut faire confiance au temps et à la capacité du tunisien à positiver les choses.
Wahid Ibrahim
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