Par Mohamed Khaled Hizem
Au sommet de la colline de Byrsa à Carthage, située au nord-est de Tunis, à environ dix-neuf kilomètres du centre-ville, se dresse un édifice imposant, l’ancienne cathédrale Saint-Louis, qui compte parmi les joyaux du patrimoine religieux tunisien au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. Le monument symbolise la présence catholique durant le protectorat français, instauré en 1881 par le traité du Bardo. Cette dernière est l’héritière de la prestigieuse Église de Carthage, qui rayonna sur le christianisme au Maghreb du IIIe siècle de notre ère jusqu’à la conquête arabo-musulmane, survenue au VIIe siècle.
Gros plan sur la façade principale de l'ancienne cathédrale Saint-Louis de Carthage. (crédit photo : Tom Taylor)
Alors qu’une petite chapelle dédiée à Saint-Louis vit le jour au début des années 1840, bâtie grâce aux bonnes relations qu’entretenait le monarque husseinite, Ahmed Bey (1837-1855), avec le roi Louis Philippe Ier (1830-1848), la construction de la cathédrale ne débuta qu’en 1884 trois années après la mise en place, en Tunisie, du régime du protectorat français. Les travaux, qui durèrent six ans, s’achevèrent par la consécration solennelle de l’édifice le 15 mai 1890. À l’instar de la chapelle élevée cinquante ans plus tôt, et qui ne fut démantelée qu’en 1950, le nouveau lieu de culte, doté d’amples proportions, fut également dédié à Saint-Louis (Louis IX), roi de France de 1226 à 1270. Celui-ci mourut, le 25 août 1270, lors de la huitième croisade, à Carthage. Son corps y reposa un certain temps avant d’être rapatrié en France, par son fils Philippe III (1270-1285), et inhumé dans la basilique de Saint-Denis.
Vue extérieure qui souligne l'aspect majestueux du monument. La grande coupole, flanquée de pinacles, surmonte la croisée du transept. (crédit photo : Tarek El Masri)
Peu de temps après son inauguration, le sanctuaire, centre de gravité de l’archevêché de Carthage, fut l’objet d’une attention particulière de la part du Saint-Siège. Ainsi, en 1892, le pape Léon XIII (1878-1903) lui conféra le rang de cathédrale primatiale ; l’archevêque de Carthage fut pourvu de la dignité de Primat d’Afrique. En 1893, un autre privilège fut octroyé au lieu de culte, lorsque Léon XIII l’éleva au rang de basilique mineure ; à titre d’exemple, la cathédrale Notre-Dame de Paris est également une basilique mineure. Cette sollicitude de la part du Vatican s’explique aussi bien par le souvenir de Saint-Louis, que par l’importance historique de l’Église de Carthage qui fournit aux IIIe, IVe et Ve siècles de notre ère certains des plus illustres pères du christianisme latin, parmi lesquels figure Saint Cyprien (200-258).
Vue de la nef depuis la croisée du transept. L'espace, couvert de plafonds à caissons peints et sculptés, est rythmé, sur deux niveaux, d'arcades outrepassées brisées. (crédit photo : Zaher Kammoun)
Outre son aura et son prestige, le monument possède une architecture remarquable, qui illustre un style composite, associant les influences romanes, byzantines et mauresques. Les styles romano-byzantin et byzantino-mauresque furent très en vogue, dans l’architecture religieuse chrétienne, durant la seconde moitié du XIXe siècle. L’extérieur de l’édifice en croix latine, dont la silhouette est marquée par des coupoles et des pinacles, présente une harmonieuse façade principale. Celle-ci, se caractérisant par sa symétrie, est animée par le jeu des arcades aveugles et des baies outrepassées brisées. Il est important de souligner que ce type d’arc, outrepassé et fortement brisé, trouve son origine dans l’architecture arabo-andalouse de l’époque des royaumes des Taifas (Espagne méridionale) aux XIe et XIIe siècles. Le tympan du grand arc central est occupé par une rosace ajourée à huit pointes.
Vue partielle de la nef, montrant, en particulier, les arcades du deuxième niveau, les baies géminées qui les surmontent, ainsi que les plafonds peints et sculptés. (crédit photo : Seif Allah Bouneb)
L’intérieur, nettement plus coloré, est divisé en une vaste nef et deux bas-côtés. L’élévation de cette dernière comprend trois parties : deux niveaux superposés d’arcades moulurées, que surmonte un alignement de fenêtres géminées. Si les arcs outrepassés brisés agrémentent, avec bonheur, la façade principale, ces derniers, ainsi qu’une multitude de colonnes en marbre blanc, rythment, magnifiquement, la totalité de l’espace intérieur. Les écoinçons des arcs sont garnis de deux cent trente-quatre blasons appartenant aux familles, descendants de croisés, ayant souscrit à la construction de la cathédrale. Pas moins de cent soixante-quatorze colonnes sont coiffées, pour la plupart, de chapiteaux néo-composites ornés de croix à quatre branches égales ; ces chapiteaux sont rehaussés de dorures.
Chapiteau néo-composite, orné de croix à quatre branches égales. Le chapiteau,qui conserve partiellement sa dorure initiale, surmonte un fût en marbre blanc. (crédit photo : Tarek El Masri)
Le couvrement du monument est, essentiellement, composé de plafonds en bois. Tandis que les bas-côtés et les tribunes sont pourvus de plafonds à solives apparentes, la nef est couverte de plafonds compartimentés en caissons, qui sont remarquablement peints et sculptés d’arabesques géométriques et florales. Outre les plafonds en bois, de belles coupoles, de diamètres différents, couronnent l’édifice. Parmi ces dernières, la plus grande est celle surmontant la croisée du transept. Deux cent quatre-vingt-quatre vitraux, réalisés par le maître verrier français, Édouard Amédée Didron (décédé en 1902), ainsi que des autels, somptueusement revêtus d’albâtre, de marbres polychromes et de mosaïques dorées, enrichissent une décoration alliant grâce et composition soignée.
Pendant plus de soixante-dix ans, Saint-Louis de Carthage fut un sanctuaire aimé des fidèles catholiques, qu’ils soient d’ascendances française, italienne, maltaise, ou ayant d’autres origines. Huit ans après l’indépendance du pays, en 1956, l’archevêché fut supprimé par le pape Paul VI (1963-1978), le 9 juillet 1964, lors de la ratification du modus vivendi entre le Vatican et la République tunisienne.
Gros plan sur le maître-autel de l'ancienne cathédrale. Rythmé d'arcatures outrepassées brisées, il est réalisé en marbre blanc, orné de mosaïques dorées et d'incrustations de marbres polychromes. En arrière plan, est visible un fond azur constellé de fleurs de lys dorées,représentant l'emblème de la monarchie française. Outre le maître-autel, d'autres autels, soigneusement décorés, se trouvent toujours à l'intérieur de l'édifice. (crédit photo : Dan Sloan)
Désacralisée, l’ancienne cathédrale resta longtemps un édifice désaffecté, avant d’abriter, à partir de 1993, un espace culturel renommé. Après la restauration du monument, celui-ci, rebaptisé « Acropolium », est devenu un lieu privilégié pour les expositions et les concerts. Dernièrement, il accueille la vingt-deuxième édition de « l’Octobre musical de Carthage », se déroulant du 15 au 30 octobre 2016, évènement dédié à la musique classique et traditionnelle, réunissant des artistes tunisiens et européens.