Les splendeurs de l’architecture tunisoise du XVIIe siècle… | Tourismag.com
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 Par Mohamed Khaled Hizem

La médina de Tunis, ensemble urbain classé, depuis 1979, au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, compte une densité impressionnante de  monuments, qui furent légués par les  différentes phases de sa riche histoire, étalée sur plus de treize siècles. Si chaque période a laissé son empreinte dans l’architecture de la vieille ville, le XVIIe siècle fut le siècle d’or de la construction d’édifices religieux et funéraires, qui métamorphosèrent le visage de cette dernière.

 

Un contexte historique favorable

Après une longue période de prospérité, tout le long du XVe siècle, sous la domination de la dynastie hafside, dont le règne s’étendit de 1236 à 1574,  le XVIe siècle fut une période funeste pour la ville de Tunis. Durant des décennies, le royaume hafside, marqué par des divisions et un affaiblissement irrémédiables, fut la proie des deux grandes puissances de l’époque : l’empire de Soliman le Magnifique (1520-1566) et celui de Charles Quint (1516-1556). Celui-ci, en s’emparant de Tunis, le 21 juillet 1535, plongea la vieille cité, capitale de l’Ifriqiya depuis le XIIe siècle, dans une déchéance tant politique, que sociale et urbaine. Cette dernière, conquise à plusieurs reprises tantôt par les Turcs, tantôt par les Espagnols, finit par tomber définitivement sous la domination ottomane en 1574, après que les armées du sultan Sélim II (1566-1574) écrasèrent celles du roi d’Espagne, Philippe II (1556-1598). Tunis  devint alors la capitale d’une Régence, province de l’empire ottoman dotée d’une très large autonomie.

 

Par opposition au XVIe siècle, qui laissa la ville profondément meurtrie, en particulier lors de son terrible sac par les troupes de Charles Quint, le XVIIe siècle la vit renaître à nouveau. Grâce à un pouvoir fort et stable, celui des Deys Othman (1593-1610) et Youssef (1610-1637), ainsi que celui des premiers Beys de la dynastie des Mouradites, notamment Hammouda Pacha (1631-1666), Tunis connut, grâce également à l’arrivée des Morisques en 1609, expulsés d’Espagne par Philippe III (1598-1621), une remarquable floraison urbaine. L’accroissement de la pratique de la « course en mer » et le développement considérable du commerce entrainèrent aussi bien la restauration de plusieurs édifices antérieurs, à l’instar des médersas hafsides Chammaiya (XIIIe siècle) et El Onqiya (XIVe siècle), que la construction d’un grand nombre de palais, de sanctuaires et de sépultures monumentales. Les mosquées et les mausolées représentent la plus belle parure apportée par le XVIIe siècle à la médina de Tunis.  

  

    
Vue panoramique d'un côté de la mosquée Hammouda Pacha, achevée en 1655, montrant particulièrement l'une des façades du mausolée du Bey mouradite. Celle-ci, soigneusement ornée, présente des arcs outrepassés à claveaux bichromes, des motifs géométriques en marbre noir incrustés dans le marbre blanc, ainsi que deux colonnes dont les fûts sont en marbre rose tacheté. Tout à gauche de l'image, est visible le gracieux minaret dont le corps octogonal se termine par un balcon à auvent et par un lanternon

Des minarets octogonaux symboles du rite officiel des maîtres de la Régence

Avec l’avènement de l’ère ottomane, la nouvelle classe dirigeante a introduit le courant hanafite dans un pays à écrasante majorité malikite. Si au début elle se contenta d’affecter,  pour la prière selon le rite hanafite, des lieux de culte antérieurs, à l’instar la mosquée de la Kasbah, élevée par le souverain hafside Abou Zakariyâ Yahyâ de 1231 à 1235, elle ne tarda pas à ériger, dès le début du XVIIe siècle, le premier sanctuaire d’obédience hanafite, la mosquée Youssef Dey. Celle-ci, inaugurée en 1612, innove par certaines composantes architecturales et décoratives, parmi lesquelles figurent une cour en forme de U et un minbar fixe, plaqué de marbres, dont la partie supérieure est surmontée d’une coiffe pyramidale. L’allure de cette chaire est semblable à celles des mosquées turques, ; elle se différencie des minbars malikites qui sont, pour la plupart, réalisés en bois  sculpté et mobiles comme celui de la mosquée Zitouna, qui peut être déplacé après avoir servi pour le prêche du vendredi.

Cependant la plus grande innovation, apparue à la mosquée Youssef Dey, consiste dans l’adoption du minaret octogonal qui constitue désormais l’élément le plus représentatif des mosquées hanafites, les distinguant nettement des lieux de culte malikites pourvus de minarets de forme carrée. Bien qu’il manifeste une influence ottomane évidente, le minaret octogonal tunisois n’est guère une copie des minarets fuselés d’Istanbul, et présente, de surcroit, une originalité certaine. Au-dessus d’une base carrée, se dresse une tour octogonale terminée par un balcon ouvragé, protégé par un auvent en bois, lequel est couronné d’un lanternon à toit pyramidal. Ce premier minaret de ce genre connaitra une évolution pour aboutir, quelques décennies plus tard, à un modèle plus élancé et plus gracieux, illustré par le minaret de la mosquée Hammouda Pacha, achevée en 1655. Ce dernier, d’allure plus élégante, possède un fût octogonal plus haut, à l’ornementation plus soignée ; il en est de même de son balcon à auvent et de son lanternon qui offrent un aspect plus raffiné que ceux du minaret de la mosquée Youssef Dey.

Le minaret de la mosquée Hammouda Pacha servit de prototype aussi bien à d’autres minarets de la médina de Tunis, comme celui de la mosquée des Teinturiers, édifiée de 1723 à 1727 par Hussein Bey Ier (1705-1735),  qu’à de nombreux minarets construits au XXe siècle dans diverses villes du pays, à l’instar de celui de la mosquée Bourguiba à Monastir, inaugurée en 1963.  

 

La mosquée Mohamed Bey, l’exemple le plus abouti de l’architecture ottomane au Maghreb

Si l’adoption du minaret octogonal, à la place du minaret carré, dans les lieux de culte hanafites, notamment dans les mosquées Youssef Dey et Hammouda Pacha, traduit une forte imprégnation par les influences architecturales et décoratives ottomanes, celles-ci trouvent leur meilleure expression dans un autre sanctuaire tunisois, construit à la fin du XVIIe siècle, il s’agit de la mosquée Mohamed Bey également appelée mosquée Sidi Mehrez, car elle se trouve à proximité de la Zaouïa du saint patron de la ville, Mehrez Ibn Khalaf (décédé en 1022 ap. J-C). La mosquée Mohamed Bey, élevée entre 1692 et 1697, est considérée comme l’une des plus belles mosquées de la médina ; elle figure d’ailleurs sur le blason de Tunis. Cet édifice, rompant nettement avec les traditions locales, représente la plus remarquable illustration de l’architecture religieuse d’inspiration ottomane pas seulement en Tunisie, mais dans l’ensemble du Maghreb. Si les mosquées hanafites antérieures ont conservé une salle de prière hypostyle, héritière de la tradition kairouanaise, caractérisée par l’existence d’une multitude de colonnes soutenant des arcs outrepassés, celle de la mosquée Mohamed Bey est construite suivant un parti tout à fait différent.



Extérieurement, le monument se signale par sa hauteur, étant la mosquée tunisoise la plus élevée, et par l’étagement de ses coupoles blanches. Intérieurement, sa salle de prière, de plan carré, est entièrement couverte par cinq coupoles et quatre demi-coupoles. La coupole centrale, d’un diamètre de 15,8 mètres, atteignant une hauteur sous clef de vingt-neuf mètres, est pourvue d’un tambour circulaire, percé de six fenêtres ; entre chacune d’elles s’intercalent trois niches feintes. Sa calotte est accostée à quatre demi-coupoles, et quatre coupoles plus petites couvent les angles de la salle. Elles sont soutenues non par une multitude de colonnes, mais par quatre grands piliers à section cruciforme, surmontés d’arcs en plein cintre. En plus du parti architectural, rappelant les mosquées d’Istanbul, la décoration, particulièrement soignée, fait appel à plusieurs motifs ottomans, notamment le fameux cyprès. À côté des revêtements en marbre et en plâtre sculpté, des panneaux de céramiques participent à l’ornementation des murs et des piliers ; certaines céramiques sont de fabrication locale, mais d’autres furent importées d’Iznik en Turquie. La mosquée Mohamed Bey est restée un véritable unicum architectural tant en Tunisie qu’au Maghreb.

 


Vue de la coupole centrale sur quatre pendentifs, ornés d'inscriptions et de motifs de cyprès, de la mosquée Mohamed Bey, également appelée mosquée Sidi Mehrez. La calotte, totalement revêtue de plâtre finement ciselé d'ornements divers, est accostée à quatre demi-coupoles et quatre coupoles plus petites. La mosquée Mohamed Bey, édifiée de 1692 à 1697, constitue la meilleure illustration de l'architecture ottomane au Maghreb

 

De somptueux mausolées perpétuant le souvenir de leurs commanditaires

Avant le XVIIe siècle, en particulier durant les époques almohade et hafside, entre le XIIe et le XVIe siècle, les sépultures, y compris celles des sultans et de leurs hauts dignitaires, se caractérisaient par leur austérité, et étaient éloignées de toute ostentation. Cela changea radicalement avec les dirigeants de la Régence, qu’ils soient les Deys ou les Beys de la dynastie des Mouradites, car ceux-ci voulaient immortaliser leur souvenir à travers la construction de superbes édifices funéraires (désignés sous le vocable de « Tourbet »). Ces derniers pouvaient êtres aussi bien isolés, qu’intégrés à des lieux de prière donnant lieu à des mosquées funéraires.

Parmi les plus belles illustrations des mausolées isolés, figurent ceux des Deys Ahmed Khodja (1640-1647) et Mohamed Laz (1647-1653). Le premier, achevé en 1647,  présente une façade harmonieuse, qui se signale par la beauté de son appareillage en pierres de taille. La composition architecturale est essentiellement animée par les encadrements rectangulaires des baies et par deux arcs surbaissés aux extrémités. L'édifice est coiffé d’une coupole rhomboïdale revêtue de tuiles vernissées. Au milieu de la façade, à l'intérieur d'un cadre rectangulaire incrusté de marbres noir et blanc, se trouve une inscription commémorative. Quant au second, dont les façades sont rythmées d’arcades aveugles de type outrepassé brisé, il est surmonté d’une belle coupole bulbeuse couverte d’écailles vertes.

Si  les mausolées isolées offrent une architecture admirable, ceux, inclus dans des mosquées funéraires, se distinguent par une plus grande somptuosité et un raffinement plus marqué tant au niveau des matériaux que de l’ornementation. Cela est parfaitement visible dans les mosquées Youssef Dey et Hammouda Pacha. Dans le cas de la première, le mausolée du fondateur, longeant la façade, est un édifice de plan carré, coiffé d’un toit pyramidal couvert de tuiles vernissées. Revêtu de marbre blanc, enrichi d’incrustations en marbre noir, garnissant notamment les arcs à claveaux bichromes, il présente sur chaque face une ample arcade centrale, flanquée de deux étages de défoncements en niches à fond plat et en cul-de-four. Le grand arc médian, en plein cintre légèrement outrepassé, repose, par l’intermédiaire d’impostes, sur deux colonnes à chapiteaux néo-doriques, sculptés de fleurs à quatre pétales. Les angles sont agrémentés de colonnes, posées sur deux niveaux, qui sont dotées de chapiteaux de style hafside. Quant à la mosquée Hammouda Pacha, le monument funéraire du commanditaire, situé dans l’angle opposé à celui du minaret, se caractérise par une architecture et des décors d’une élégance remarquable. De plan carré, il est surmonté, à l’instar du mausolée de Youssef Dey, d'une coiffe pyramidale couverte de tuiles vernissées.

Chaque façade est occupée, au centre, par une arcade encadrée, dans sa partie inférieure, de panneaux à motifs géométriques de marbre noir incrusté dans le marbre blanc,  tandis qu’elle est flanquée, dans sa partie supérieure, de deux arcatures géminées dont les claveaux, comme ceux du grand arc médian, sont formés d’une alternance de marbres noir et blanc.

Un grand atout pour un tourisme culturel de qualité

Les monuments religieux et funéraires de l’architecture tunisoise du XVIIe siècle, dont la valeur artistique est inestimable, méritent amplement d’être intégrés dans un circuit spécifique bien organisé, qui ne dépendrait plus uniquement de l’initiative d’un guide bien inspiré. Un tel circuit ne peut que servir la perspective d’un tourisme culturel axé sur la découverte des trésors patrimoniaux de la médina. Dans ce cadre, il n’est nullement admissible de maintenir un accès difficile, voire même impossible, pour certains monuments clés à l’instar des mausolées. Qu’ils soient isolés, comme ceux d’Ahmed Khodja et de Mohamed Laz,  ou faisant partie d’un complexe cultuel, à l’image des mausolées inclus dans les mosquées Hammouda Pacha et Youssef Dey, rares sont les visiteurs qui ont eu l’occasion de contempler leurs ornements intérieurs.

Il en est de même concernant les mosquées, celles-ci devraient, à défaut d’être totalement accessibles, permettre aux touristes étrangers de découvrir au moins la cour et les portiques qui entourent la salle de prière ; ce qui est déjà le cas pour certaines mosquées historiques situées dans les villes côtières, comme la Grande Mosquée de Sousse et la Grande Mosquée de Mahdia, ou bien à l’intérieur du pays, à l’instar de la Grande Mosquée de Kairouan. Un voyageur, désireux de mieux connaitre l’histoire et l’architecture des sanctuaires tunisois, ne peut se contenter le longer les façades de mosquées dont les portes lui sont hermétiquement fermées…

 

 


Gros plan sur la façade du mausolée d'Ahmed Khodja, dont la construction fut terminée en 1647. Caractérisée par un bel appareillage en pierres de taille, la composition architecturale est agrémentée par les encadrements des baies rectangulaires, ainsi que par deux arcs surbaissés situés aux extrémités. Le monument est surmonté d'un petit dôme rhomboïdal, couvert de tuiles vertes vernissées

 

Ce n’est guère exagéré d’affirmer que la médina de Tunis dispose, à n’en pas douter, du plus précieux et du plus important patrimoine architectural de la période ottomane au Maghreb. Si dernièrement des restaurations indispensables ont concerné les minarets des mosquées Hammouda Pacha et Youssef Dey, il serait plus que pertinent, pour promouvoir un tourisme culturel qualitatif, de faciliter l’accès à celles-ci, ainsi qu’aux superbes mausolées, qui illustrent, de manière éloquente, la beauté et le raffinement de l’architecture tunisoise du XVIIe siècle.  

 

Par Mohamed Khaled Hizem

" Paru dans La Presse magazine le 15 mai 2016 ".

 

 

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