Présenté dans la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs, Much Loved est un film extraordinaire et très fort de Nabil Ayouch.
Synopsis
"Marrakech, aujourd'hui. Noha, Randa, Soukaina et Hlima vivent d'amours tarifées. Ce sont des objets de désir. Vivantes et complices, dignes et émancipées, elles surmontent au quotidien la violence d’une société qui les utilise tout en les condamnant.
A l’origine, Nabil Ayouch avait voulu faire un documentaire sur les prostituées de Marrakech. Mais après avoir interviewé des centaines de prostituées, il a préféré faire un film de fiction.
Quoique, peut-on vraiment dire que Much Moved est un film de fiction ?
Pendant environ deux heures, on accompagne un groupe de prostituées dans leur vie, leurs rêves, leurs ambitions, leurs déceptions….
Le film montre ces prostituées essentiellement sous quatre angles : leurs relations avec le client, leurs relations entre elles, leurs relations avec la société et leurs relations avec le pouvoir en place.
Le réalisateur va distinguer entre deux sortes de clients : les clients des pays du Golfe et les européens. Les relations avec ces deux sortes de clients sont complètement différentes.
Avec les clients du Golfe, il s’agit d’un rapport pratiquement bestial de personnes qui pensent qu’avec leur argent elles peuvent tout acheter, y compris les êtres humains. Là, aucune place aux relations humaines, à l’érotisme, à la discussion… il n’y a qu’exploitation et intérêt. Le client pense s’acheter un corps à malmener à sa guise, pour son propre plaisir. La prostituée ne pense qu’à l’argent qu’elle va soutirer, quitte à devoir le voler s’il le faut.
Avec le client européen, le rapport est tout à fait autre. Les filles vont profiter du client désargenté et qui ne pense qu’au plaisir qu’il peut tirer d’elles en lui prenant ce qu’elles peuvent sans rien donner. Par contre, avec le client européen d’un certain niveau, surtout intellectuel, il y a un réel échange. Les relations sont autres. Relations entre humains qui se respectent.
Nabil Ayouch insiste sur les scènes de sexe justement pour montrer la différence entre ces clients.
Avec les saoudiens, les relations sexuelles sont bestiales, moches, sales, brutales, vulgaires, à sens unique, où le client seul prend son plaisir sans se soucier de la prostituée. Alors qu’avec le client européen, il y a de l’érotisme, un échange, il y a une vraie relation sexuelle entre deux adultes qui en tirent tous les deux du plaisir.
Les filles entre elles ont des rapports qui peuvent paraître complexes. On pourrait croire qu’elles sont rivales tant elles se disputent, mais en réalité, elles sont très solidaires les unes avec les autres. Elles forment une famille. Chaque membre de cette famille est présent pour les autres. Elles sont même prêtes à aider des filles qu’elles rencontrent au hasard de la vie, comme cette jeune femme enceinte qu’elles vont trouver à l’hôpital, qu’elles vont recueillir chez elles et dont elles vont prendre soin.
Ces filles sont exploitées par tous. Par les clients, mais aussi par leur propres familles. Elles travaillent dur pour pouvoir subvenir aux besoins de leurs familles qui en profitent en réclamant toujours plus. Ces mêmes familles ne donnent rien en retour, aucun amour, aucune affection, ni même reconnaissance. Au contraire, elles rejettent ces filles qui leur amènent la honte. On le voit très bien d’ailleurs lorsque la maman de Noha lui demande de ne plus venir pendant la journée pour que les voisins ne la voient pas. Cette maman a-t-elle un seul geste de tendresse envers sa fille ?
Non aucun. Au contraire. Elle ne cesse de lui réclamer de l’argent, mais par ailleurs la prend de très haut et voudrait bien ne plus avoir à la revoir.
Quant à la police sensée protéger les citoyens, lorsque ces citoyens sont des prostituées, elle les rackette et profite de leur faiblesse. Ces filles ne peuvent d’ailleurs rien y faire, elles sont obliges de subir sans broncher. Et on le voit dans le regard de Noha qui est normalement d’un caractère très fort, mais qui est obligée de subir le viol du policier sans broncher, la larme à l’œil.
Pourquoi est-ce que Nabil Ayouch a-t-il préféré faire un film de fiction plutôt qu’un documentaire ? A-t-il fait le bon choix ?
Manifestement oui. Par rapport à un documentaire, le spectateur est juste spectateur. Il reçoit une information. Il apprend objectivement. Mais grâce à la fiction, le spectateur ressent de l’empathie par rapport aux personnages du film. Il s’identifie à eux et comprend ce qu’ils ressentent. Tel est le but du film : dénoncer le milieu de la prostitution à Marrakech en faisant partager la vie, les sentiments, les peines et les souffrances de ces prostituées. De cette manière, on est plus affecté. Ces filles sont des prostituées, mais elles sont surtout et avant tout des femmes. Des femmes qui ont besoin de respect, de considération, de protection, de tendresse….
Très beau film. Très fort. A voir absolument.