Dans cette deuxième partie de l’entretien qu’il a accordé à «Toursimag », le ministre du Tourisme diagnostique les maux du secteur et évoque les réformes structurelles à entreprendre.
Tourismag: Quels sont, selon vous, les maux du tourisme tunisien ?
Elyès Fakhfakh: Le vrai problème est que le monde a avancé alors nous sommes restés sur nos acquis. D’autres destinations comme l’Egypte ou la Turquie ont émergé dans le sillage de la démocratisation du transport aérien qui a été boostée par l’ouverture du ciel. Notre produit qui reste essentiellement balnéaire est bon, mais nous ne sommes plus seuls sur le marché. Après l’attentat de la Ghriba en 2002 à Djerba, les Allemands sont allés ailleurs et ils ont découverts d’autres endroits où l’on offre un service identique ou meilleur que celui de la Tunisie et qui disposent de plages magnifiques aussi.
D’autre part, le transport représente entre 40 et 45% du coût du séjour en Tunisie et 30 % seulement dans les destinations concurrentes.
La faiblesse extrême de notre présence sur le Web constitue aussi l’un des maux de la destination. Cette quasi-absence de la Tunisie sur la Toile en matière d’information, de promotion et de vente explique le fait que nous ayons très peu de tourisme individuel. Ce type de tourisme nécessite une forte présence sur le Web qui garantit l’information numérique et l’ouverture du ciel.
Il faudra désormais améliorer le produit et lancer le processus d’ouverture du ciel afin d’arriver à un ratio transport aérien/coût du séjour de 35%.
D’autre part, il faut s’adapter au changement des habitudes de consommation. Avant, on partait en vacances une ou deux fois par an. Actuellement les touristes partent plus souvent pour des périodes plus courtes de 3 ou 4 jours. Ils veulent changer d’esprit rapidement et ils ont plusieurs motivations comme la thalasso, le thermalisme, ou la randonnée. La Tunisie est, quant à elle, restée dans une logique de séjours longs pendant l’été. Pour réponde aux nouvelles attentes des touristes, il faudra mettre en place des stratégies régions.
Avant, on partait pour une destination, aujourd'hui, désormais on part beaucoup plus pour une motivation.
Internet a bouleversé encore plus les habitudes. Les touristes y cherchent et trouvent 36000 propositions. Et ils ne trouvent pas souvent la Tunisie parmi ces proposition et même s’ils la trouvent, , ils rencontrent plusieurs obstacles , qui les incitent à aller chercher ailleurs. Par exemple, le touriste trouve l’hôtel à 200 euros pour trois quatre jours mais le billet d’avion coûte 400 euros puisque c’est un vol régulier !
Sur un autre plan, y a encore trop de bureaucratie. Il faut simplifier le process, fluidifier la coordination inter-ministérielle et assurer la décentralisation de la décision .C’est là un grand, chantier . Même avec toute la bonne volonté du monde ; un super ministre n’y peut rien. Il faut les outils nécessaires et en cas de décision collégiale, on a besoin d’outils et de process décisionnels rapides.
Où en êtes-vous en ce qui concerne le traitement du problème de l’endettement des hôteliers?
Il y a une étude qui a été lancée par la Banque Centrale de Tunisie avec le concours de la Banque Mondiale. Les auteurs de cette étude ont proposé plusieurs solutions. Nous leurs avons demandé d’approfondir un peu plus le chiffrage. D’ici peu, on va prendre des décisions qui seront par la suite exécutées. Cela prendra du temps bien évidemment.
Des dizaines d’agences de voyages ont mis la clef sous la porte et plus d’une centaine d’agences de locations de voitures ont fermé boutique. Que fait le gouvernement pour sauver ces segments de l’activité touristique ?
La meilleure solution c’est le retour des flux touristiques. En ce qui concerne la caution, il s’agit d’un problème qui relève de la Fédération Tunisienne des Agences de voyages FTAV, qui assurait depuis 1973 et d’une manière illégale les agences de voyages alors que la loi exige que chaque agence de voyage doit contracter une police d’assurance. Cette année, la FTAV a renoncé assurer les agences au regard de la conjoncture. C’est, donc, un problème qui concerne la profession. Dans ce contexte, le ministère a essayé de repousser l’échéance d’un mois puis de trois pour permettre à la profession de trouver des solutions.
Des mesures de soutien aux agences de voyages comme la prise en charge des cotisations sociales ont été intégrées dans la loi des Finances complémentaire.
Concernant la « Omra », l’objectif est de libéraliser le plus tôt possible cette activité moyennant des garanties et un cahier des charges.
Nous sommes dans le cadre d’un Etat et non pas d’une petite PME. On définit nos priorités et on entame les chantiers. Le résultat lui, il viendra plus ou moins rapidement.
Dans tous les cas, les professionnels du tourisme doivent renoncer à l’esprit d’assistanat et être proactifs.
Lors d’un récent passage en France, j’ai été invité par un tour opérateur dirigé par un Tunisien qui travaille sur la Tunisie et qui s’est montré très proactif. Ce TO basé à Lyon a organisé un grande action axée sur la relance de la destination Tunisie. Il a rassemblé 400 personnes et ramené des décideurs, des parlementaires sans aucune aide.
Nous devons par ailleurs mette la main dans la main pour être plus inventifs et agir tous ensemble. C’est la seule façon de sortir de la mauvaise conjoncture. Les acteurs touristiques ne doivent pas se résigner à rester sous perfusion.
D’autre part, il y a lieu de constater qu’hôtel et transport représentent 95% du prix du séjour en Tunisie, où le touriste ne dépense que 1 à 2% dans l’animation contre 20% en moyenne au niveau des destinations concurrentes. D’où la nécessité d’un remodelage structurel pour développer tout ce qui est accessoire à l’hébergement comme l’animation, et les excursions afin que le tourisme dépense plus et fait travailler les agences de voyages et d’autres intervenants. En Tunisie on fait plus de l’hébergement et du transport que du tourisme!
Avec Atout France on va faire l’ingénierie des destinations et des circuits comme cela été déjà fait en France.
Quand on dit Dougga ou Kairouan, il faut qu’il ait une offre complète. Quand on offre un site archéologique par exemple on doit penser aux routes qui permettent d’y accèder et tout ce qu’il y a autour comme hébergement, animation, restauration. En fait , ce qui nous manque jusque-là, c’est de réfléchir global.
Une fois les infrastructures garantissant une offre complète en place grâce à des investissements publics et privés, on lance la promotion de la région. Cela a été fait par les Marocains à Marrakech. Savez-vous qu’il existe à Tozeur un parcours de golf et pas le moindre restaurant touristique ?! Dans certaines régions du nord-ouest, il n’y a même pas une offre d’hébergement !
A Tozeur et Tabarka, l’open sky est en vigueur depuis des années mais il n’ y a pas une offre digne d’une destination à part entière.
Bien évidemment, on ne peut pas exécuter ce vaste chantier en une année, mais il faut commencer par mettre en place une vision globale.
Savez-vous , par ailleurs, que la Tunisie ne dispose d’aucune destination golfique puisque cette dernière nécessite par définition la présence de cinq parcours dans un rayon de 30 Km. Même à Hammamet, il y a trois parcours seulement. Bref, nous devons actuellement aller vers une autre étape de transformation de nos destinations et de spécialisation...
Que feriez- vous pour le secteur si vous aviez une baguette magique ?
Changer la mentalité des acteurs du secteur, de l’administration aux professionnels.
On doit prêter une attention particulière au produit, le touriste est un invité qui doit transmettre une bonne image de la Tunisie. Il doit dire du bien en ce qui concerne, entre autres, la propreté et le bon comportement des commerçants dans les souks.
Déjà les toilettes publiques sont catastrophiques. En Inde et en Chine, il y a plus de saletés qu’en Tunisie, mais les toilettes sont propres.
Les Allemands se plaignent de l' harcèlement dans les souks. Or, notre pays est paisible et il doit garder cette spécificité.
Quelle sont, selon vous, les destinations modèles ?
En termes de richesses, de mise en valeur de patrimoine et d’infrastructure, la France et l’Italie. En termes d’accueil et de services, l’Espagne. Mais nous pourrons s’inspirer de beaucoup d’autres destinations comme Dubaï, l’Inde ou encore la Malaisie.
La Tunisie a l’avantage d’être est un petit pays où l’on peut passer de la plage au désert en passant par les sites archéologiques dans un rayon de 300 km et changer de paysage et de culture en deux heures de routes. C’est fantastique.
Moyennant une vision, de la volonté et un processus décisionnel beaucoup plus simple, efficace et rapide, nous pouvons transformer complètement le visage de la destination Tunisie. Nous disposons du savoir-faire. Et il y a un vrai intérêt de la part des investisseurs pour la nouvelle Tunisie. Il faut désormais exploiter cet intérêt et ne pas perdre nos énergies dans des débats stériles sur des sujets marginaux.
Entretien conduit par Donia Hamouda