Les contours du nouveau pouvoir issue de l’Assemblée nationale Constituante qui aura la lourde tâche de poser les fondations d’un nouveau régime démocratique et de diriger le pays jusqu’aux prochaines élections générales sont désormais clairs. En s’alliant au Congrès pour la République (CPR, gauche nationaliste) et au Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés (FDTL/ ou Ettakatol), le parti islamiste Ennahda (89 sièges sur 217) a pu dégager une majorité confortable qui lui permettra de gouverner et de dessiner la Tunisie de demain. Hamadi Jebali, secrétaire général du Mouvement Ennahdha et chef du gouvernement provisoire a d’ailleurs appelé ses adversaires à accepter les règles du jeu démocratique. « Etre majoritaire ne veut pas dire contenter la minorité et céder sur certains points", a-t-il affirmé , mercredi à l'issue de la troisième séance des travaux de la Constituante. Et de renchérir : « La liberté est garantie à toutes les parties au sein de la Constituante. Il s'agit seulement d'accepter les règles du jeu démocratique. Il n’est pas question de parler de projets imposés ou d'une domination de la majorité. Dans toutes les démocraties, la règle est le vote, ainsi que la garantie de la liberté de la parole et de la critique». Que reste-t-il donc pour l’opposition ? Pas grand-chose si l’on se réfère aux propos du président de l’Assemblée Constituante et secrétaire général d’Ettakatol qui s’est même inscrit en faux contre le concept de l’opposition au sein d’une assemblée dominée par une coalition majoritaire et chargée de concrétiser sur le terrain les principes de la révolution du jasmin.
Opposition dispersée
Il n’empêche que les partis qui n’ont pas répondu à l’appel d’Ennahda de siéger au sein du gouvernement ne l’entendent pas de cette oreille. Plusieurs initiatives viennent de voir le jour. D'une part, un groupe d’opposition qui se qualifie de «démocrate et moderniste » est en train de se constituer. Il regroupe les élus du Parti Démocrate Progressiste (PDP), du Pôle démocratique Moderniste (PDM) et d'Afek Tounes, soit 25 députés.
D'autre part, l'Union patriotique Libre (UPL, un seul siège) cherche à constituer une coalition d’indépendants au sein de l'assemblée et ferait des appels de pieds aux élus d’Al-Aridha Chaâbia.
A ces fronts d’opposition s’ajoutent les élus de l’extrême gauche, notamment ceux du Parti Ouvrier Communiste Tunisien (POCT) et d’Al-Watad. Les élus Moubadara (6 sièges) ne se pose pas clairement dans une posture d’opposants. «Nous n’avons pas d’opposition de principe à l’égard de la majorité au sein de la Constituante. Nous lui accorderons un soutien critique et notre contribution sera active et palpable et appuiera le processus démocratique dans l’intérêt supérieur du pays et en harmonie avec les principes et choix de notre parti», a déclaré Kamel Morjane, président de ce parti issu du RCD dissous. Autant dire que l’opposition reste structurellement fragmentée et idéologiquement dispersée.
Observateur et alternative
Malgré leur faible poids électoral et leurs rangs dispersés, les nouveaux opposants ne comptent pas permettre à la coalition majoritaire d’avoir les coudées franches. « Aujourd'hui, et face à l'alliance majoritaire qui va gouverner, il y a une opposition qui jouera pleinement son rôle d'observateur vigilant. L'opposition tentera d'aider le gouvernement à réaliser les objectifs de la révolution: conserver les libertés et répondre aux attentes des Tunisiens et leurs aspirations essentiellement sur l'emploi, l'amélioration du pouvoir d'achat, la lutte contre l'exclusion et le développement régional », précise Ahmed Néjib Chebbi, le fondateur du PDP. ET d’ajouter : « Elle va créer une sorte de pression aussi bien sur le gouvernement en cas de déviation qu'au sein de la société pour la rendre plus vigilante quant au rendement des dirigeants au pouvoir ».
Dans ce rôle d’observateur vigilant et inflexible sur le respect des acquis du pays, l’opposition aura un atout majeur : une société civile toujours éveillé. En atteste le rassemblement organisé devant le siège du parlement par un collectif d’associations et d’ONG durant la séance inaugurale de l’Assemblée Constituante. Femmes démocrates, familles des martyrs de la révolution, représentants de la société civile, brandissaient, ce jour là, des pancartes sur lesquelles on pouvait lire: «ne touchez pas au Code du statut personnel", «non à l'extrémisme», «n'oubliez pas les martyrs »…
Mais les opposants ne se contenteront pas de jouer le rôle de gardien du temple des libertés et de défenseurs des principes révolutionnaires. «Il est crucial, pour les partis de l’opposition d’incarner l’alternance et de gagner en crédibilité auprès de l’opinion publique (…). En politique, le désespoir est une sottise absolue. Le peuple tunisien est en mesure de défaire, dans une année, ce que les urnes ont fait le 23 octobre 2011», suggère Gilles Jacob Lellouche, juif tunisien et candidat de l’Union Populaire Républicaine (UPR) qui n’a pas réussi à arracher un siège sous la coupole du parlement. W.K