Les islamistes modérés d’Ennahda ont remporté haut la main le premier scrutin libre en Tunisie. Les responsables de ce parti qui se dit plus proche de l’AKP turc que des barbus du FIS algérien multiplient les gages d’ouverture et rassurent sur l’avenir du tourisme. A l’instar des professionnels du secteur, le directeur général de l’Office National du Tourisme Tunisien (ONTT), Habib Ammar, aborde cette nouvelle ère avec confiance. Pour lui, l’avenir du tourisme tunisien ne peut être que meilleur que son passé. Et pour cause…
TourisMag : Pourriez-vous nous dresser un bref bilan de l’activité touristique depuis le déclenchement de la révolution du jasmin ?
Habib Ammar : Depuis la chute du régime de Ben Ali, l’objectif de l’administration et des professionnels était que le secteur ne s’effondre pas. C’est pour cette raison d’ailleurs que nous avons lancé une campagne de communication en plein marasme. Beaucoup de gens ont critiqué le timing de cette campagne, mais pour nous il fallait être présent. D’autant plus que la pub est, à nos yeux, un investissement dont le retour peut ne pas être immédiat. Le secteur a fait beaucoup d’efforts pour préserver les emplois.
En termes quantitatifs, la Tunisie a reçu 4 millions de touristes sur dix mois. C’est un chiffre très honorable si l’on juge par la situation du pays qui a connu une révolution. La baisse se limite à environ 36%. Or, en 2001, une année marquée par un attentat perpétré contre une synagogue juive à Djerba, la baisse était de 26%. Si l’on compare une baisse de 35% dans un contexte de révolution et son corolaire d’instabilité et à celle consécutive à seul acte localisé à Djerba, il est clair que la Tunisie a relativement tiré son épingle du jeu. Pour toute l’année 2011, si on arrive à une baisse de 30%, ce serait un bon score.
TourisMag : Vous paraissez très optimiste sur l’avenir du tourisme tunisien. Qu’est ce qui motive votre optimiste ?
Habib Ammar : Oui, je suis très optimiste car quelque soit le gouvernement qui sera mis en place (NDLR, cette interview a été réalisée à l’heure où les tractations se poursuivaient pour la formation d’un gouvernement d’union nationale), le tourisme ne peut qu’aller mieux. Tout gouvernement a intérêt à faire réussir le secteur touristique si non il va se mettre le doigt dans l’œil. Pendant les dix dernières années, rien n’a été fait pour le tourisme. L’ancien régime n’a jamais considéré le tourisme comme un secteur prioritaire. A nos demandes de licences d'alcool, d'ouvertures de centres d'animation, de casinos, de propriétés de résidences touristiques pour les étrangers la réponse était toujours négative. L’interventionnisme et les taxations de la famille Ben Ali étaient omniprésents dans le secteur touristique.
Tout se décidait souvent dans le palais de Carthage (siège de la présidence de la République, NDLR) Toutes études réalisées depuis dix ans sont restées dans les placards !
Aujourd’hui, tout le monde est conscient que le secteur qui représente 400.000 emplois et 3 milliards de dinars de recettes, est en difficulté structurelle.
TourisMag : Quelles sont aujourd’hui les priorités de l’administration du tourisme ?
Habib Ammar : Nous devons en premier lieu retrouver les niveaux de l’année précédente et entamer le plus tôt possible les réformes structurelles. La véritable faiblesse du tourisme tunisien réside dans le fait qu’il soit très peu diversifié. Le balnéaire représente 80% de l’activité. Ce manque criant de diversification génère une grande saisonnalité et une forte sensibilité aux aléas conjoncturels. Il faudra désormais faire tourner l’industrie du tourisme toute l’année et non pas uniquement pendant les trois mois de l’été. Il y a également des réformes qu’on peut attaquer immédiatement comme la simplification des procédures d’investissement lourdes et dissuasives. Nous avons déjà commencé par donner des dizaines de licences de maisons d’hôtes en coordination avec le ministère de l’agriculture même si le cadre législatif n’est pas encore prêt.
En gros, il faut appliquer les recommandations de l’étude stratégique sur l’avenir du secteur à l’horizon 2016. Mais il faut un feu vert du gouvernement pour qu’on puisse mettre en œuvre ces recommandations. Le gouvernement provisoire s’est contenté de gérer les affaires courantes, ce qui était une tâche herculéenne dans un contexte révolutionnaire. Mais actuellement, nous avons un gouvernement légitime.
TourisMag : Oui mais ce gouvernement sera dominé par les islamistes d’Ennahda qui ont raflé la mise lors des élections. Les gages d’ouverture donnés par Ennahda ont-ils rassuré les TO étrangers ?
Habib Ammar : Au départ, les TO étaient attentistes surtout que quelques articles publiés par la presse occidentale étaient négatifs. Mais les dirigeants d’Ennahda ont fait des déclarations rassurantes. Ils ont été très clairs en ce qui concerne le respect des libertés individuelles et la promotion du tourisme. Cela concerne, entre autres, l’alcool et les tenues de plage qu’ils ne vont pas interdire. En ce qui concerne le lancement d’hôtels où l’on ne consommera pas de l’alcool, il y a plein de gens qui ne voulaient pas investir dans le tourisme à cause justement de la consommation de l’alcool. Maintenant, il faut axer le travail sur la communication et rassurer davantage. Nous comptons, d’ailleurs, communiquer pendant un mois et demi, organiser des éductours et inviter des centaines de journalistes étrangers. Durant cette semaine du ( du 8 au 12 novembre 2011), une dizaine de journalistes séjournent dans nos murs. Nous lancerons également sous peu un site web du tourisme tunisien semblable à ceux des destinations Maroc, Espagne et Turquie.
TourisMag : Vous miserez alors sur les hôtels sans alcool pour se positionnez sur les marchés arabes ?
Habib Ammar : Cela entre dans le cadre de la diversification du produit et de son adaptation aux besoins des marchés arabes qui ont toujours figuré dans notre viseur. Les touristes arabes cherchent des hôtels où l’on ne consomme pas de l’alcool et sont attirés par le tourisme culturel ou de chasse. La plage ne les intéresse pas.
TourisMag : Qu’en est-il du mariage entre la culture et le tourisme qui tarde à se concrétiser ?
Habib Ammar : L’esprit a changé. Ce mariage commence à fonctionner. En tous cas, il y a aujourd’hui plus de compréhension. Avant il n'y avait aucune volonté de promouvoir le tourisme à travers la culture.
TourisMag : Que projetez-vous de faire pour lutter contre le bradage des prix qui se poursuit toujours ?
Habib Ammar : En général, la moyenne des recettes par nuitée à augmenté mais beaucoup d’hôteliers ont bradé les prix contrairement aux recommandations de l’administration qui leur a expressément dit laissez vos hôtels et ne bradez pas. L'Etat qui opté depuis des années pour la libéralisation des prix se trouve dans l'impossibilité d'intervenir dans la fixation des prix qui est du ressort exclusif des professionnels eux-mêmes. Mais l’administration agit indirectement sur les prix à travers des inspections minutieuses sur la qualité des prestations fournies par les unités qui pratiquent des prix anormalement bas.
TourisMag : Comment peut-on relancer la station de Yasmine Hammamet qui n’arrive toujours pas à décoller ?
Habib Ammar : Il est clair que cette station ne marche pas comme il se doit. On peut commencer par changer la vocation des hôtels pour les commuer en appart-hôtels et lancer le tourisme résidentiel, une catégorie très prisée par les touristes maghrébins ou scandinaves. Mais il faut commencer par changer la vocation des terrains.
TourisMag : Pensez-vous qu’il est temps d’ouvrir le ciel tunisien ?
Habib Ammar : Nous sommes favorables à l’open sky même si cela va affecter négativement la compagnie nationale Tunisair. Mais on ne peut pas continuer à protéger 5000 emplois et handicaper un secteur qui fournit 400.000 emplois.
Propos recueillis par Donia Hamouda