La Tunisie échappera-t-elle aux répliques du séisme qui secoue les économies des pays du Golfe mises à mal par un  prix de pétrole et des bourses en dégringolade. Des répliques qui se sont jusqu’ici matérialisées, un peu partout dans le monde, par le gel ou l’annulation pure et dure de projets pharaoniques annoncés par des groupes originaires de ces monarchies pétrolières. Nourries par la forte discrétion des instances officielles qui évoquent à tout bout de champ des problèmes fonciers,  les rumeurs relatives au gel de plusieurs méga-projets foisonnent en Tunisie depuis quelques mois. Fortement relayée par les médias , la dissolution, le 27 janvier dernier,  de Sama-ECH Tunisia, société créée en 2007 par le géant émirati Sama Dubaï  en partenariat avec le groupe britannique EC Harris pour superviser la  construction d’un gigantesque complexe immobilier autour du lac sud de Tunis n’a fait que remuer le couteau dans la plaie. L’inquiétude est d’autant plus grandissante que le méga-projet baptisé «Porte de la Méditerranée, la cité du siècle» devait engloutir 25 milliards de dollars pour faire quasiment émerger une ville nouvelle et créer 130 000 emplois. Un flou artistique  entoure également le projet de  construction d’un complexe immobilier à l’Ariana par la société émiratie Al Maâbar International Investments pour un coût global estimé à 10 milliards de dollars. Idem pour les projets d’une station touristiques intégrée à Hergla annoncé depuis 2007 par la société Emaar (2milliards de dollars) et d’une cité des télécommunications (3 milliards de dinars) que devait construire la société Gulf Finance House à Tunis.
Deux projets semblent, toutefois,  échapper au marasme: le projet une cité sportive annoncé par le groupe Abou Khater, dont la facture s s’élève à 5 milliards de dinars et le celui du port du port financier  de Tunis (3  milliards de dollars).
Le gouvernement reste jusqu’ici très discret sur les rumeurs de gel de certains  méga-projets,  qui affolent les milieux d’affaires. Les spécialistes n’excluent, cependant pas, une propension des groupes du Golfe, émiratis notamment, à réduire la voilure. «La conjoncture internationale pourrait provoquer l’arrêt de certains mégaprojets  annoncés par des investisseurs du Golfe ou la révision à la baisse des investissements initialement prévus», précise l’intermédiaire en bourse Tunisie Valeurs dans une récente étude sur la l’impact et la durabilité des méga-projets en Tunisie.
Les  spécialistes des investissements arabes estiment que la tendance ne concerne pas uniquement la Tunisie. «En 2008, de gros projets s’étalant sur des périodes de cinq ou dix ans ont été annoncés par des investisseurs du Golfe. On peut craindre qu’ils n’aboutissent pas tous, au moins dans leur dimension initialement prévue. Certains seront réduits, arrêtés à la fin de la première tranche de réalisation, ou bien annulés », redoute Pierre Henry, responsable de l’observatoire Mipo (Mediterranean Investment Project Observatory), du réseau Anima, qui regroupe les agences de promotion des investissements de tous les pays du partout méditerranéen. A preuve: rien qu’au Maghreb, les annonces de mise en veilleuse de plusieurs projets similaires se multiplient.  La dernière en date concerne le retrait d’Emmar de l’Algérie. Auparavant, Sama Dubaï avait demandé, fin janvier, à ses partenaires, dont la société belge Besix, d’arrêter le chantier d’aménagement de la vallée Bouregreg, entre Rabat et Salé au Maroc.
La tentation de certains groupes originaires des pays du Golfe  à réduire leurs engagements au Maghreb s’explique essentiellement, selon les analystes financiers,  par la dépréciation de leurs actifs en Europe, aux États-Unis depuis le déclenchement de la crise financière. Dopées par l’envolée du prix du pétrole, qui avait atteint, mi-juillet 2008, un pic à 147 dollars le baril, les économies des pays du Golfe pensaient échapper à la tourmente financière qui secoue la planète. Mais la mondialisation en a décidé autrement. Depuis fin septembre 2008, le cours du brut, déprimé par les perspectives de récession mondiale, est retombé autour de 50 dollars. Les coupes  dans la production décidées par l'OPEP ont également considérablement réduit la force de frappe des investisseurs arabes. Les bourses arabes ont été, d’autre part, rattrapées par la crise. En raison de leurs placements dans les banques américaines mises à genoux par la crise des subprimes, les places financières arabes ont perdu 600 milliards de dollars en 2008. « Au départ, nous pensions que nous serions épargnés, mais après l’été 2008 nous avons eu la preuve du contraire », a reconnu Fadi Khalaf, secrétaire général de l’Union des Bourses arabes (UBA), réunie en assemblée annuelle le 15 avril dernier à Casablanca.
Le chef de la diplomatie koweïtienne, cheikh Mohammad Sabah al-Salem al-Sabah, avait déjà annoncé, début janvier 2009,  que la crise a coûté aux monarchies pétrolières du Golfe une perte de 2.500 milliards de dollars depuis octobre dernier. Conséquence de ces pertes à en perdre la tête: le business model des groupes du Golfe basé essentiellement sur l’immobilier, le commerce international et le tourisme, est plus que jamais remis en question.
Toujours est-il que les holdings du Golfe disposent toujours d’une frappe financière considérable. Début 2008, on estimait à plus de 1?000 milliards de dollars les actifs détenus par les fonds souverains des monarchies pétrolières.