Il venait du monde de la finance et de l’industrie mais sa foi en la culture et sa fidélité à la terre de ses ancêtres ont fait de Abderrazak Chéraït (1937-2024) un promoteur hors-paires du tourisme culturel et saharien.

Natif de la capitale où il a grandi et prospéré en tant que cadre bancaire puis en tant qu’industriel dans le domaine de l’éclairage dans lequel il a réussi à être un opérateur de tout premier plan en Tunisie et à l’étranger, il a décidé un jour de tout réinvestir dans la culture sous forme de « musée de la civilisation tunisienne ». Et, pour donner corps à son projet, il a choisi la ville natale de son père, la localité de Tozeur, dans le sud-ouest du pays. Là, il avait, certes, des attaches familiales et affectives mais guère d’autres atouts, la ville, en dépit de son prestigieux passé, ayant été léguée dans la périphérie de la croissance qui a bénéficié à d’autres régions. 

«Un musée, de surcroît dans une localité enclavée et démunie des infrastructures les plus élémentaires pour prétendre à une vocation touristique, c’est complètement déraisonnable »

lui ont opposé ses proches. 

En effet,  et malgré un trésor patrimonial hélas laissé en friche quand il n’était pas dilapidé, Tozeur ne vivotait plus que par les activités primaires générées par l’économie oasienne, essentiellement vivrière et saisonnière et qui profitait essentiellement aux plus aisés. Mais, visionnaire et obstiné, Abderrazak Chéraït, pour ainsi dire à mains nues, s’est attelé à son projet, mu par sa passion et son gout pour les défis. 

Et c’est ainsi qu’en 1986, sur une décharge qui lui avait été attribuée au titre de « lot touristique », à la périphérie de la ville et de l’oasis, il a lancé son chantier pour édifier, dans un premier temps, le musée en question sous forme d’une résidence bourgeoise de la capitale et qui a accueilli des milliers d’objets du patrimoine tunisois et jéridi qu’il avait collectionnés des décennies durant. Ce fonds a été littéralement mis en scène pour restituer, grâce à des mannequins plus vrais que nature, des tableaux vivants de la vie traditionnelle domestique et sociale de Tunis et de Tozeur.

Dans la foulée, il a fait aménager un parc de loisirs qu’il a dénommé « La médina des 1001 nuits » pour titiller l’imaginaire du visiteur à travers un circuit dans le monde onirique de Sindbad, d’Ali Baba et des 40 voleurs, etc., à grands renforts d’effets spéciaux lumineux et sonores.

Musée Dar Chéraït - Tozeur 

Enfin, dans la même aire, le musée Dar Zmèn est venu retrace, sur le même mode attractif, 3000 ans d’histoire de la Tunisie.

Cet ensemble a constitué « le complexe culturel Dar Chéraït ».

A l’autre bout de la ville, dans l’oasis familiale, le promoteur a aménagé le parc Chak WaK. Toujours dans la même approche didactique et grâce aux mêmes techniques, Chéraït retrace l’aventure de la Création, du Big Bang à nos jours, selon la version créationniste ou celle de l’Evolution. Prétexte pour mettre en relief la communauté de destin de tous les hommes.

L’entreprise s’est révélée viable et bénéfique. Grâce à cet apport, une dynamique salvatrice s’est emparée de Tozeur. Les investisseurs dans le secteur du tourisme (hôtels, agences de voyages, loisirs, services divers) y ont afflué, insufflant dans la ville une vie nouvelle. Une zone touristique est née. 

Rapidement, et grâce à une politique de communication intelligente promue par Chéraït, Tozeur est devenue un pôle touristique incontournable, surtout pour les Tunisiens, attirés par la magie des musées et des parcs, particulièrement en périodes de vacances scolaires. 

En moins d’une décennie, le chômage a reculé et le niveau de vie de la population s’est amélioré. C’est la raison pour laquelle les électeurs se sont mobilisés pour porter l’homme d’affaires à la tête de leur mairie. Il y entreprit des travaux de grande envergure pour préserver le cachet architectural et urbain traditionnels de la ville, ressusciter l’artisanat, améliorer l’hygiène et les services publics, promouvoir l’animation culturelle sous toutes ses formes et agir en faveur de l’environnement, n’hésitant pas à y aller de sa poche à chaque fois que le budget municipal était à court de ressources.

Portrait de feu Abderrazak Chéraït en tenue traditionnelle tunisienne 

Le troisième mandat successif de Chéraït de cinq ans ayant été amputé en 2010 de quelques mois suite à des manœuvres sournoises, Chéraït se retira de la vie publique dans une digne prospective avant d’y être entraîné à nouveau en 2014  à la faveur des premières élections législatives organisées en Tunisie sous un régime démocratique. 

Arrivé en tête dans sa circonspection du Jérid, il a siégé à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) où, en dépit d’une ambiance générale délétère, marquée par les manœuvres politiciennes et les intrigues, il est parvenu à faire adopter quelques projets de lois susceptibles d’atténuer la crise qui sévissait. Surtout, il a utilisé cette tribune pour dénoncer les abus de l’Administration et plaider en faveur d’une politique culturelle proactive intégrée dans la production économique et sociale du pays. En vain, car les préoccupations dominantes dans l’hémicycle étaient d’ordre partisan en rapport avec le « partage du gâteau »…

Abderrazak Chéraït, ulcéré par la corruption et la pusillanimité de la majorité de ses paires, se retira de la vie publique avant même la fin de la législature en novembre 2019. Il n’en continua pas moins à servir ses concitoyens tozeurois de diverses manières mais dans la discrétion la plus totale. Jusqu’à ce jour fatidique du 3  novembre 2024 où il rendit l’âme au terme d’un combat prolongé contre la maladie.

Orphelin, le Jérid après la disparition de son fils prodigue ? Assurément. Mais la population reste profondément attachée à son legs matériel  qui renvoie son image à chaque coin de rue de Tozeur et des autres villes qui se sont inspirées de ses réalisations dans tous les domaines ; surtout, la jeunesse revendique la continuité de l’élan qu’à imprimé dans les esprits celui qu’on a surnommé « le Rédempteur » du Jérid. 

Architecture ancestrale de la médina de Tozeur protégée par le maire de Tozeur Abderrazak Chéraït