Oasis de montagne

La Tunisie se distingue parmi les pays de la région partageant les mêmes caractéristiques climatiques qu’elle par la variété de ses oasis. En effet, celles-ci s’y déclinent en versions désertique, tout comme chez ses  voisins donnant sur le Sahara, mais aussi maritime, qui débouche sur la Méditerranée, et de montagne, dans les profondeurs sud-ouest du pays. 

Tout comme l’oasis maritime de Chénini Gabès,  les oasis de montagne sont uniques dans leur genre. Et nous avons choisi d’ouvrir une fenêtre sur ce monde singulier et recherché par les amateurs de découvertes parce que « différent ». Nous allons donc nous arrêter successivement à Chébika, Tamerza et Midès.

Au seuil de l’immensité désertique qui s’étend à l’infini en direction du sud se dresse la fauve devanture de la chaine montagneuse qui traverse toute l’Afrique du nord et vient finir ici sa course sous l’appellation d’Atlas Saharien. Dans les replis de ce relief austère sont enchâssés de véritables jardins suspendus au-dessus du désert. Ce véritable miracle de la Nature est le fruit d’un « seuil hydraulique » qui fait remonter l’eau des profondeurs de la terre et la restitue sous forme d’un chapelet de sources artésiennes, nombreuses et abondantes. 

Perchées entre 500 et 1.00 mètres d’altitude, ces oasis sont aussi le fruit de l’ingéniosité et du travail des hommes qui, à force d’efforts et de persévérance, ont réussi depuis la nuit des temps dans un environnement d’une sévère aridité à aménager et entretenir de vastes « corbeilles » de tendre verdure où la vie et la civilisation prospèrent depuis des millénaires.

Avant d’entamer le circuit des oasis de montagne notons que celles-ci, à l’instar de toutes leurs homologues en plaine, se caractérisent par leurs cultures sur trois étages : le dattes, au sommet des palmiers, les arbres fruitiers en palier intermédiaire, notamment le figuier, le grenadier, l’olivier, le bananier, etc. Enfin, au sol, des potagers en carrés consacrés aux diverses variétés de légumes, de légumineuses, de fruits, d’herbes et de graines. 

  

Chébika | À la sortie d’un vallon

Venant du chef-lieu, Tozeur, notre première escale se fera à Chébika. Aménagé dans les premiers contreforts du jebel Tamerza, le village actuel est venu en remplacer un autre, situé en amont, gravement endommagé dans les années 70 du siècle dernier par des pluies torrentielles et dont on a conservé les vestiges pour le souvenir et au titre du patrimoine architectural et urbain traditionnel. Dans ces vestiges on retrouve des matériaux de remploi remontant à l’Antiquité. Et pour cause, nous sommes ici à l’emplacement d’Ad Speculum, localité-garnison sur la ligne du limes romain qui séparait l’empire des espaces nomades sahariens. 

L’oasis proprement-dite se répand à la sortie d’un vallon dans lequel elle s’est faufilée sur plus de 500 mètres en suivant le cours d’eau échappée de sources situées en amont, dans une ravissante gorge encaissée dont les rochers rouges encadrent le lit de sable et qui tombe en cascade pour aller irriguer généreusement des bouquets de palmiers du plus gracieux effet.

A part l’itinéraire balisé qui permet au visiteur de découvrir l’oasis, puis le cours de l’eau et, enfin, le village ancien, un circuit éco-touristique a été mis en place qui permet un circuit de trekking qui permet de faire connaissance avec les richesses géologiques de la région, sa flore et sa faune (en particulier l’emblématique mouflon à manchette).

Tamerza | Une succession de sites gracieux

Tamerza a  été mentionnée par les historiens de l’Antiquité sous l’appellation de Ad Turres. Avec ses deux voisines, elle était située sur la ligne du limes saharien chargé de défendre les possessions de l’empire romain. De ce passé ne demeurent que les vestiges d’une forteresse qui surplombait la localité ainsi que de rares matériaux de construction encastrés dans quelques demeures de la localité.   

Pour le visiteur venant aujourd’hui du nord, l’ancien village se présente sur la rive gauche de l’oued el-Frid, encore dit oued Tamerza, le plus souvent à sec mais dont le lit ne mesure pas moins 300 mètres. En périodes de très grandes précipitations, heureusement très espacées,  il se transforme en torrent aux effets dévastateurs qui emporte tout sur son passage, y compris des quartiers entiers du village, ainsi qu’on peut le constater dans ce qu’il en reste. Après des inondations catastrophiques en 1972, qui ont également ravagé les oasis sœurs, la population a été déplacée dans le village actuel, plus sûr en cas de nouvelles crues. Mais l’attachement au cadre de vie ancestral est resté intact. Il se manifeste notamment dans la vénération portée aux saints patrons de la localité dont les mausolées et les célébrations continuent d’être entretenus par les fidèles.    

L’agglomération surplombe l’oasis qui, elle, est restée semblable à elle-même, quasiment immuable depuis des millénaires. Une description qui en a été faite il y a environ un siècle par un voyageur français est encore aujourd’hui valable :   

Les sources arrosant l’oasis sont très abondantes. Encore que les crues de l’oued Frid les fassent souvent se déplacer leur débit total… 

 

Au fond de l’étroite vallée, la petite oasis est la plus pittoresque du pays du Jérid. Longue de trois kilomètres, larges de trois cents mètres, elle est aussi côtoyée par l’oued Frid que l’on peut descendre à pied jusqu’à la cascade. C’est une succession de sites gracieux : des rochers rougeâtres des eaux claires et bondissantes et des palmiers suspendus aux berges. A mi-route, un ressaut du calcaire d’où le ruisseau cascade en bouillonnant d’une dizaine de mètres de hauteur vous oblige à quitter le lit du torrent pour suivre un des sentiers de l’oasis. Les palmiers sont vigoureux, les jardins touffus, l’eau pleine de vie. Il est une époque où, sous les palmiers, les frondaisons sont d’une richesse de tons incroyable, c’est la fin mars. A ce moment, les figuiers bourgeonnent en vert tendre, les pêchers ont encore quelques fleurs et les jeunes pousses des grenadiers jettent à foison des flèches de carmin sur des buissons d’ambre chaud. A quelques pas au-dessous du dernier jardin, le ruisseau grossit d’un affluent, l’oued Ouddei, court sur de grandes dalles et va se jeter par une deuxième cascade dans un ravin étroit et chaotique. »

Une excursion dans l’oasis mais également dans les dédales des canyons que l’eau a creusés au fil du temps est recommandée pour les visiteurs de plus de quelques heures, de même qu’une incursion dans le circuit de trekking sous la conduite de guides patentés issus de la région.

Pour les souvenirs à emporter il y a bien sûr des articles d’artisanat local en vannerie et, abondamment, des fossiles d’animaux et de plantes remontant à des millions d’années, de même que les cristaux de toutes sortes.

 

Midès | Le cri du cœur 

L’arrivée à Midès est beaucoup moins frappante que celle de Tamerza (à six kilomètres au sud-est). Un village très banal au pied d’une chaine de montagnes languissante et délimitant la frontière avec l’Algérie voisine, et, à gauche, le rideau de palmiers qui cache l’oasis. Il faut foncer dans cette direction et traverser la palmeraie. Au bout d’un « tunnel » de verdure, on aperçoit le village ancien. On n’en est pas ébloui. Il faut prendre à droite, côtoyer l’oasis sur environ un kilomètre et s’arrêter à une clairière qui se déporte sur la gauche. Là, il faut bien retenir son souffle. Midès apparait sur un piton surplombant des gorges profondes d’une soixantaine de mètres, sauvages, grandioses. Du fond du ravin, des palmiers s’élancent désespérément à l’assaut des parois rocheuses vertigineuses, bien rabotées et striées de sédiments géologiques.

Le « fossé » entoure Midès l’Ancien sur trois côtés. Le quatrième était interdit aux indésirables par une muraille aujourd’hui disparue. L’architecture telle qu’elle apparait dans les vestiges de la localité aujourd’hui désertée est de même inspiration que celle de Tamerza et de Chébika. Mais l’environnement est d’une superbe désolation. Rien de pareil nulle part ailleurs -ici, du reste, ont été tournées des séquences du film « The English patient ». On est saisi à la gorge. L’indigence a sa grandeur. Et, pour que le mystère se fasse matière, trois formes inscrites dans les sédiments du rideau de montagnes qui se dressent en toile de fond du village, reproduisent, parfaite, l’image, haute de plusieurs mètres, d’un cœur d’amande en trois exemplaires décroissants : un cri silencieux qui se répercute en écho sur la paroi rocheuse comme pour dire « J’aime la vie ».

Pendant longtemps, Midès a pu faire vivre ses enfants. Avec la croissance démographique et le changement climatique qui tarit bien des sources irrigant cette oasis suspendue plus haut que les autres, l’agriculture se fait plus avare. L’endroit était pourtant réputé pour être le seul dans le sud tunisien à s’adonner à la culture des agrumes en abondance (oranges, citrons, bergamotes…). Alors, ceux qui restent, comme leurs cousins des autres oasis de montagne, « cultivent » aujourd’hui fossiles et cristaux…