Sous le soleil implacable du sud-ouest tunisien, les majestueuses montagnes de l’Atlas dressent leurs falaises ocre et leurs canyons abrupts. Nichée au creux de ce relief grandiose, l’oasis de Tamerza a toujours fasciné les voyageurs. Ses palmeraies, ses vergers et ses cascades qui jaillissent des roches attirent chaque année curieux et passionnés de nature. Mais derrière cette image de carte postale, un autre paysage se dessine, plus discret et pourtant tout aussi extraordinaire : celui d’une ferme durable née d’un pari fou.
Le rêve d’un homme face au désert
Tout commence en 2012. Après trente années de travail à l’étranger, Ben revient dans son pays natal avec un rêve chevillé au cœur : transformer une terre aride et nue en un lieu fertile, nourricier et ouvert au monde. Devant lui, il n’y a alors qu’un sol rocailleux, sans eau, sans ombre, sans promesse.
Avec pour seules armes sa persévérance et ses économies, il plante 400 oliviers et 100 dattiers.
C’était un acte de foi, confie-t-il. Beaucoup pensaient que c’était impossible, mais je savais que la terre pouvait répondre si on lui donnait de l’attention et du respect. »
Le début est un combat quotidien. L’eau, indispensable à la survie des jeunes plants, doit être acheminée par camions, faute de forage. Ce n’est qu’en 2017 qu’une étape décisive est franchie : l’installation d’une pompe alimentée par l’énergie solaire, couplée à un réservoir et à un système d’irrigation au goutte-à-goutte. Une révolution silencieuse qui permet d’utiliser chaque goutte avec intelligence et parcimonie.
Le terrain, accidenté et pierreux, demande des mois de nivellement. Mais Ben persévère, élargissant peu à peu son domaine. Aujourd’hui, Ain Karma Tamerza s’étend sur neuf hectares et abrite une véritable mosaïque d’espèces : oliviers, palmiers-dattiers, pistachiers, grenadiers, figuiers, amandiers, abricotiers, pêchers, vignes et même agrumes. Tout y est cultivé en agriculture biologique, sans pesticides ni engrais chimiques.
En 2023, il ajoute 100 nouveaux palmiers-dattiers, notamment la variété emblématique Deglet Nour, joyau du sud tunisien, réputée pour sa chair translucide et sa douceur miellée.

Ain Karma Tamerza est bien plus qu’une ferme. C’est un laboratoire à ciel ouvert, où tradition et modernité se rejoignent. L’énergie solaire fait tourner les pompes, le compost nourrit les sols, les arbres offrent refuge aux oiseaux et aux pollinisateurs.
Chaque parcelle devient un petit écosystème où l’homme et la nature réapprennent à collaborer.
Mon objectif n’est pas la rentabilité, mais l’exemple, insiste Ben. Si une terre stérile peut renaître ici, alors d’autres peuvent suivre cette voie ailleurs. »
Une expérience unique pour les voyageurs
Ain Karma Tamerza n’est pas seulement une ferme agricole : c’est aussi un lieu d’accueil. Au cœur des montagnes de l’Atlas, les visiteurs y découvrent une oasis inattendue, une respiration verte au milieu du désert minéral.
Les voyageurs peuvent :
- parcourir les vergers et goûter les fruits à même l’arbre ;
- comprendre le fonctionnement de l’irrigation solaire et raisonnée ;
- découvrir les principes de l’agriculture biologique ;
- écouter l’histoire de Ben, récit d’une décennie de patience et de lutte contre l’aridité.
Ici, le tourisme prend un autre sens : il devient immersion, apprentissage et partage.
Quand le tourisme se fait porteur d’espoir
En ouvrant sa ferme aux visiteurs, Ben dépasse le simple cadre agricole. Il transforme Ain Karma Tamerza en une école vivante de durabilité, où chaque pas dans le verger devient une leçon. Le lieu attire des curieux venus de Tunisie et d’ailleurs, avides de comprendre comment une terre aride peut redevenir fertile.
C’est aussi un modèle d’écotourisme et d’agritourisme : plutôt que de consommer un paysage, le voyageur participe à son histoire, rencontre ses acteurs et repart avec une inspiration durable.
Une leçon de vie au cœur de l’Atlas
Au terme de la visite, le regard se perd sur les montagnes qui entourent l’oasis de Tamerza, comme un rappel de la rudesse du climat et de la fragilité des équilibres naturels. Chaque arbre qui s’y dresse témoigne d’une victoire silencieuse, d’une résistance patiente face à l’aridité.
Cette lutte obstinée pour fertiliser la terre fait écho à la littérature tunisienne. Dans Le Barrage, Mahmoud Massaâdi racontait l’histoire de Ghaylène, cet homme qui, défiant la fatalité divine imposant la sécheresse, clamait : « Je la fertiliserai, la terre. »
Son combat était existentiel, presque tragique.
Celui de Ben s’inscrit dans la même lignée, mais avec un horizon nouveau : la durabilité. Là où Massaâdi décrivait une quête solitaire, Ben oppose au désert des solutions concrètes – l’énergie solaire, l’irrigation raisonnée, l’agriculture biologique – et une vision partagée avec les visiteurs.
Ainsi, Ain Karma Tamerza n’est pas seulement l’histoire d’un homme et de son verger, mais un message universel : celui d’un avenir où le tourisme, l’agriculture et la durabilité avancent ensemble, pour que la terre continue de refleurir.
Et résonne alors l’avertissement de Ben, aussi simple que percutant :
Go green, or you have no home to go. »