Dans les méandres spectaculaires des gorges de Selja, sculptées par le temps et les eaux de l’oued éponyme, serpente un train d’exception dont le nom évoque à la fois mystère et légende : le Lézard Rouge. Véritable vestige du faste beylical, ce train touristique emblématique renaît aujourd’hui sous une lumière nouvelle, porteuse de mémoire, de raffinement et de perspectives renouvelées pour le tourisme culturel en Tunisie.
Né en 1910 dans les ateliers de Louvain (Belgique) et façonné par la main experte de Dyle et Bacalan (France), ce train n’était destiné qu’à l’élite : le bey de Tunis et sa cour. Composé de voitures richement décorées, dont une réservée au souverain, une autre à ses proches, une voiture-restaurant et deux fourgons à bagages, le Lézard Rouge incarne l’élégance ferroviaire du début du XXe siècle, dans la lignée de l’Orient-Express ou du Train bleu.
Son intérieur est un hommage au luxe raffiné : boiseries sculptées, velours grenat, marqueterie délicate, cuivre poli et sols minutieusement décorés. Un écrin mobile pour les souverains husseinites — Ali Ier Pacha, Moncef Bey, Lamine Bey — et pour les dignitaires étrangers reçus avec éclat.
Mais, comme tant de symboles d’une époque révolue, le train s’éteint peu à peu, supplanté par la voiture individuelle et les mutations sociétales. Il dort alors pendant plusieurs décennies, relégué sur une voie oubliée.
C’est en avril 1974 que commence sa renaissance : sous son nom évocateur, le Lézard Rouge reprend du service grâce à un partenariat entre la SNCFT et la société Transtours. Il devient alors bien plus qu’un simple train : une passerelle poétique entre patrimoine, nature et mémoire, reliant la gare de Métlaoui — entre Tozeur et Gafsa — aux trésors géologiques des gorges de Selja, sur une ligne de 43 km initialement conçue pour l’évacuation des phosphates.
Aujourd’hui, cette renaissance prend une dimension nouvelle. Le 16 mai 2025, à l’occasion des Journées du Tourisme et de l’Artisanat de Gafsa, une inauguration officielle marque le retour en lumière du Lézard Rouge, fruit d’un partenariat fort entre la SNCFT et le ministère du Tourisme. Une promesse devenue action, saluée par les autorités locales et les professionnels du secteur comme un signal fort de réactivation du tourisme intérieur.
Le voyage dure environ 1h45, mais le temps semble suspendu : falaises ocre, tunnels creusés dans la roche, ponts audacieux et panoramas vertigineux s’enchaînent, offrant aux voyageurs une immersion dans un décor quasi cinématographique.
Et justement, le cinéma ne s’y est pas trompé. Le Lézard Rouge a été mis à l’honneur dans plusieurs productions internationales. Il a été utilisé notamment dans le film culte Indiana Jones et la Dernière Croisade, où ses paysages spectaculaires servent de toile de fond aux péripéties de l’archéologue aventurier. Si le train lui-même n’apparaît pas dans Le Patient anglais, les gorges de Selja et les oasis voisines de Chebika, Tamerza et Midès ont été choisies pour tourner plusieurs scènes emblématiques, renforçant l’aura cinématographique de la région.
Plus qu’un simple trajet, le Lézard Rouge propose un voyage dans le temps, une évasion sensorielle au croisement de l’histoire, du paysage et du patrimoine. À l’heure où l’authenticité et l’expérience sont devenues les nouvelles devises du voyageur moderne, il se présente comme une perle rare. Il raconte, sur ses rails centenaires, l’histoire d’un pays pluriel, où la beauté naturelle rencontre la richesse historique, et où chaque virage dans les gorges de Selja révèle un chapitre oublié de la grandeur tunisienne.
À la croisée de l’histoire, de l’art de vivre et du rêve, le Lézard Rouge est bien plus qu’un train patrimonial : c’est un voyage dans le temps, une parenthèse enchantée, un hymne vibrant au sud tunisien et à ses richesses cachées. Sa renaissance, aujourd’hui, s’inscrit dans une dynamique plus large de valorisation du patrimoine et d’offre touristique durable, où chaque rail devient un fil conducteur entre hier et demain.
Ce joyau sur rails attend désormais celles et ceux qui souhaitent redécouvrir la Tunisie autrement — à travers le prisme du luxe ancien, du récit historique et de l’émerveillement naturel. Une invitation au voyage… au rythme du temps retrouvé.